Neus Sabater : » J’ai fait le choix de la recherche privée et en France «
⏱ 3 minPassée des mathématiques pures aux mathématiques appliquées, Neus Sabater, spécialiste de vision par ordinateur travaille depuis 6 ans chez Technicolor. Cette jeune data scientist espagnole ne s’imaginait pas vivre en France. Tout a commencé par un séjour en Erasmus à Paris…
« Je ne parlais pas du tout le français et je n’étais jamais venue en France, j’aurais préféré trouver une bourse Erasmus dans un pays anglophone », reconnait Neus Sabater, espagnole d’origine. Mais, en 2004, après 4 années de maths pures à l’université de Barcelone, elle saisit une opportunité qui l’emmène à Paris XIII-Villetaneuse. Neuf mois en Erasmus qui passent bien vite ! Décidée à faire un master de mathématiques appliquées pour explorer les applications de toute la théorie apprise jusque-là, elle hésite alors entre revenir en Espagne ou rester en France. Ce sera finalement Paris et le master MVA de l’ENS Paris-Saclay où elle décroche une bourse. « J’avais envie de plus découvrir la France et de mieux parler la langue », se souvient la jeune femme qui s’exprime aujourd’hui dans un français parfait avec un très léger accent. Et cette année sera décisive : « ça a été une révélation : j’ai découvert un domaine de recherches – la vision par ordinateur – notamment grâce à mon stage en imagerie médicale à l’université Paris-Descartes. Cela m’a vraiment beaucoup plu. »
Un parcours international
Quinze ans plus tard, c’est devenu sa spécialité. Entre temps, Neus Sabater a soutenu une thèse en 2009 en imagerie satellitaire, thèse menée à l’ENS Paris-Saclay, au CMLA (Centre de mathématiques et leurs applications) en collaboration avec le CNES. « À l’époque, je me disais encore que je rentrerais en Espagne… plus tard », se souvient-elle. Avant cela, elle choisit de passer deux années aux Etats-Unis dans le cadre d’un post-doc à Caltech (université de Los Angeles) toujours sur l’imagerie satellitaire, appliquée cette fois à la géophysique, dans le cadre d’un projet avec le JPL (Jet Propulsion Laboratory), le prestigieux laboratoire associé à la NASA, qui lui octroie une bourse. « Ça a été une expérience formidable, j’ai rencontré des chercheurs passionnants dans ce laboratoire d’excellence, j’ai découvert une autre culture, une autre façon de travailler. Je conseille à tous les étudiants d’aller à l’étranger pour se confronter à d’autres pratiques. C’est important en termes d’ouverture d’esprit », résume-t-elle.
On lui propose de rester sur place mais cela lui semble trop loin de l’Europe. Elle hésite à nouveau entre l’Espagne et un autre pays européen. Mais la très mauvaise situation de la recherche espagnole suite à la crise la dissuade de retourner travailler dans son pays. Dès lors, la France devient un choix assez évident. Elle candidate dans la recherche publique et arrive première sur un poste… qu’elle refuse pour rejoindre la recherche privée dans le laboratoire de Technicolor à Rennes. « Comme la plupart des étudiants d’université, je ne connaissais pas bien la recherche privée, reconnait-elle. J’avais cet a priori que la bonne recherche se mène forcément dans le public. Mais en Europe, même si les moyens ne sont pas aussi importants qu’aux Etats-Unis, il existe des centres de recherche industriels de grande qualité. On les connait mal car ils communiquent peu. Et leurs moyens ne sont pas du tout les mêmes que dans le public. Ça compte aussi après un Bac+8+post-doc… même si, en ce qui me concerne, j’ai avant tout choisi Technicolor par rapport aux recherches que je pouvais mener. »
Thèse Cifre ou académique
Fin 2011, elle intègre donc le labo de R&I (Recherche & Innovation) de Technicolor et affirme œuvrer pour le R (la recherche) même si son travail comporte bien sûr un peu d’innovation. Elle étudie les light fields 1, ces champs de lumière à l’instar des champs magnétiques. Elle développe et brevète des algorithmes pour traiter ces images ou ces vidéos prises de plusieurs points de vue simultanément ou sous plusieurs expositions pour produire un joli flou d’arrière-plan (bokeh) ou des images HDR (High Dynamic Range) de belle luminosité. Depuis 6 ans, sur ces sujets, elle coencadre des étudiants en thèses Cifre. Elle regrette que ces thèses menées en entreprise soient souvent moins bien considérées que les thèses universitaires. « Ce ne sont pas des thèses de développement, mais bel et bien de la recherche amont. La qualité des publications peut être du même niveau qu’à l’université, affirme-t-elle. Sans compter que l’étudiant acquiert en plus l’expérience de l’entreprise. Cela a peu d’intérêt pour ceux qui se destinent à l’enseignement. En revanche, choisir une thèse Cifre est l’idéal si on envisage de travailler en entreprise. Le secret d’une bonne thèse, ce n’est pas le fait qu’elle soit académique ou en entreprise : outre la qualité du sujet et le fait qu’il soit réalisable en 3 ans, c’est surtout la qualité de l’encadrement qui compte. » Comment l’évaluer ? En ayant une vraie conversation avec l’encadrant – c’est valable dans l’entreprise comme à l’université – ou à l’occasion d’un stage préalable dans l’entreprise.
Après une petite quinzaine d’années hors de son pays natal, Neus Sabater recommande la mobilité à tous les étudiants que ce soit lors de stages, thèses, post-doc, « pour voir comment cela se passe ailleurs, découvrir d’autres horizons, gagner en maturité… ». Passionnée par les recherches qu’elle mène chez Technicolor, la jeune catalane n’imagine pas retourner en Espagne… pour l’instant.
Isabelle Bellin
1 Accurate disparity estimation for Plenoptic Images, Sabater et al. ECCV ‘14