
Canicules, orages violents : l’IA apprend à prévoir les épisodes météo extrêmes
⏱ 4 minAutrefois chasse gardée de la simulation numérique, la prévision météorologique teste et adopte toujours plus de solutions relevant de l’intelligence artificielle, notamment de l’apprentissage profond. Entre autres pour tenter de mieux prévoir les phénomènes météorologiques extrêmes.
La météorologie est entrée dans l’ère numérique dès les années cinquante. Des ordinateurs toujours plus puissants ont permis de faire « tourner » des modèles numériques de l’atmosphère d’un continent et même de la planète, en appliquant les lois de la physique. Ces modèles produisent des prévisions de l’état de l’atmosphère qui s’avèrent proches de la réalité à court terme… mais qui, pour des horizons plus lointains, sont à prendre avec des pincettes. Les incertitudes sont inhérentes à la prévision, et il existe un horizon de prévisibilité, au-delà duquel vouloir prévoir la météorologie est illusoire. On appelle “prévision déterministe” cette approche consistant à s’appuyer sur une seule simulation numérique.
« Pour caractériser les incertitudes de prévision, on travaille depuis les années 1990 sur la “prévision probabiliste”, explique Laure Raynaud, responsable de l’équipe Prévisibilité au CNRM (Centre National de Recherches Météorologiques). On a ainsi développé la “prévision d’ensemble”, qui consiste à réaliser non plus une seule, mais une série (dix, vingt, cinquante…) de simulations numériques, en introduisant du “bruit”, c’est-à-dire de petites variations aléatoires dans les valeurs des données décrivant l’état initial de l’atmosphère, mais aussi dans les calculs au cours de la simulation numérique. » On obtient ainsi un “ensemble” de prévisions plus ou moins divergentes du temps qu’il fera… peut-être.
Détecter les orages violents dans un ensemble de prévisions
« À partir de cet ensemble de prévisions, poursuit Laure Raynaud, on peut tout d’abord calculer et visualiser une moyenne, mais aussi la dispersion de ces prévisions divergentes. Les prévisionnistes disposent ainsi de moyens de quantifier les incertitudes sur le temps à venir. » De plus, de nombreux travaux visent aujourd’hui à analyser automatiquement ces ensembles de prévisions à l’aide de modèles d’apprentissage profond. Notamment des réseaux de neurones entraînés à y détecter de probables phénomènes météorologiques extrêmes, aux conséquences graves pour les personnes, les infrastructures… bref, la société.
« C’est un sujet très actuel, assure la chercheuse. On appelle cela la “Détection automatique de structures météorologiques”, par exemple d’un cyclone tropical ou d’un orage violent. Dans ces ensembles de prévisions, des réseaux de neurones convolutifs peuvent détecter une structure météorologique comme ils savent reconnaître un chat dans une photo. Notre équipe, par exemple, travaille depuis plusieurs années sur la prévision des orages violents. Nous avons réalisé un prototype de modèle de détection que nous faisons tourner chaque jour depuis deux ans et dont les résultats sont fournis aux prévisionnistes. Cette application devrait être opérationnelle l’année prochaine. » Ces travaux ont fait l’objet d’une thèse et d’une publication¹ l’année dernière.
Prévision sans passer par la case simulation numérique
Certains travaux visent à faire usage de l’apprentissage profond… sans passer par la case simulation numérique. En entraînant par exemple des réseaux de neurones à détecter dans la météorologie passée des signes annonciateurs de probables phénomènes extrêmes à venir. C’est ce que fait Freddy Bouchet, qui est directeur de recherches CNRS au Laboratoire de Physique de l’École normal supérieure de Lyon. « Nous avons développé un réseau de neurone convolutif qui apprend à reconnaître des signes annonciateurs d’une canicule extrême de longue durée (14 jours au moins) en France dans la situation météorologique de l’hémisphère nord qui l’a précédée jusqu’à 15 jours auparavant, et même beaucoup plus dans certains cas, explique le chercheur. »
Pour entraîner un modèle d’apprentissage profond, il faut idéalement disposer d’une importante masse de données. Malheureusement, s’agissant de phénomènes météorologiques extrêmes, les données historiques disponibles sont minces. C’est pourquoi les chercheurs ont travaillé en faisant appel à un simulateur de climat. « Les meilleurs modèles de climat sont ceux sur lesquels travaille le GIEC, assure Freddy Bouchet. Le modèle que nous utilisons est presque équivalent, mais il nécessite cent fois moins de calcul. Il s’agit de Planet Simulator (PlaSim) qui a été développé à l’Université de Hambourg. Il peut simuler 100 ans par jour sur un PC standard sous Linux. »
Apprendre les signes annonciateurs d’une canicule sévère
L’équipe lyonnaise a utilisé PlaSim pour générer 8000 ans de climat virtuel, jour après jour, du moins pendant la période (juin-juillet-août) propice aux canicules. Elle a entraîné son modèle sur 7000 ans pour ensuite le valider sur les 1000 ans restants. « Après apprentissage, précise le chercheur, notre modèle fournit, à partir de la situation météorologique courante, un score estimant la probabilité d’une canicule sévère prochaine. » Ces travaux ont fait l’objet d’une publication² il y a quelque mois. Les résultats sont encourageants, mais une prochaine étape consistera à confronter ce modèle aux données historiques. Un doctorant devrait s’y consacrer prochainement.
« De tous les phénomènes météorologiques extrêmes, rappelle Freddy Bouchet, la canicule est celui qui a le plus fort impact, qui engendre la plus forte mortalité. Souvenons-nous que celle de 2003 a causé quelque quinze mille décès en France. Mais notre méthodologie peut être appliquée à d’autres phénomènes extrêmes : sécheresse, orages, pluies diluviennes… et même les ouragans. »
L’intelligence artificielle fourbit ses armes pour apporter son concours à la prévision du temps qu’il fera demain. Si les premiers résultats concernant la prévision d’épisodes extrêmes se confirment, elle pourrait prochainement aider à mieux s’y préparer et peut-être même se targuer de contribuer à sauver des vies.
Pierre Vandeginste
1. Arnaud Mounier et al. Detection of Bow Echoes in Kilometer-Scale Forecasts Using a Convolutional Neural Network. Artificial Intelligence for the Earth Systems, 2022. doi.org
2. George Miloshevich et al. Probabilistic forecasts of extreme heatwaves using convolutional neural networks in a regime of lack of data. Physical Review Fluids, 2023. doi.org