Grande distribution : l’IA en tête de gondole
⏱ 5 minLes solutions relevant de l’intelligence artificielle au service des acteurs de la grande distribution se multiplient, et l’IA pourrait, demain, occuper une place centrale au sein de tous les services de ces entreprises.
En 2019, le n°1 mondial de la grande distribution, Walmart, lançait son “Intelligent Retail Lab”. Une initiative qui témoignait alors de l’accélération d’une tendance amorcée quelques temps auparavant : l’adoption, par les acteurs de la grande distribution, de solutions d’IA. « Les premiers cas d’usage ont commencé à se multiplier il y a un peu moins d’une dizaine d’années », précise Vincent Blaclard, partner en conseil data et spécialiste du “retail” chez Artefact, une société de services en transformation numérique, marketing digital et science des données.
Après une montée en puissance progressive jusqu’à l’aube de 2020, l’usage de l’IA dans le monde de la grande distribution a toutefois fini par subir un grand bouleversement, en lien avec la pandémie de Covid et les changements de comportements qu’elle a initiés chez les consommateurs. « Les approches et méthodologies ont dû être remises en cause. Et les diverses crises qui ont suivi celle du Covid n’ont fait que le confirmer. Nous sommes entrés dans une économie de pénurie, marquée par l’inflation et les ruptures de stocks. Beaucoup des approches que l’on envisageait auparavant ont perdu de leur pertinence », analyse l’expert, citant notamment l’exemple de l’utilisation de systèmes d’IA d’aide à la fixation des prix : « On n’est plus en mesure d’utiliser les mêmes algorithmes pour mesurer l’élasticité des prix. Les fenêtres d’analyse sont beaucoup plus serrées. On pouvait, auparavant, se baser sur plusieurs années de données. Aujourd’hui, les données de prix sont obsolètes au bout de quelques mois. Cela change fondamentalement la manière de raisonner ».
Ainsi redéfinie, la fixation des prix de vente n’en demeure pas moins l’un des usages clés de l’IA par la grande distribution, aux côtés d’autres aspects également affectés par les crises, comme l’optimisation de l’assortiment, des promotions ou encore de la chaîne d’approvisionnement. Les spécialistes de ces applications ont en effet su apporter des réponses adaptées, à l’image de la société française Verteego, qui se décrit elle-même comme une “plateforme IA de commerce prédictif”.
Verteego : l’IA prédictive au service de la distribution
Verteego compte, entre autres références, des acteurs de la grande distribution tels que Système U ou Monoprix. Des clients qu’elle accompagne dans l’optimisation et l’automatisation de leurs décisions. Pour y parvenir, la start-up a développé une technologie permettant de générer des prévisions très précises grâce à des algorithmes d’IA. « Verteego combine données historiques internes et données socio-démographiques et contextuelles externes », précise la jeune entreprise dans une étude de cas portant sur l’utilisation de sa plateforme chez Monoprix, dans une optique de prévision des ventes promotionnelles.
« Les algorithmes de Verteego nous permettent d’être plus réactifs et de capter des tendances court terme », témoigne Stéphane Tailliandier, la directrice “supply chain” de Monoprix. Des algorithmes d’IA qui, selon Verteego, ont en effet permis d’augmenter la précision des prévisions de son client d’environ 10 %. Avec à la clé une augmentation du chiffre d’affaires promotionnel de 3 à 5 % selon les catégories de produits. Ce qui représente annuellement plusieurs millions d’euros… À l’issue d’un trimestre de mise à l’épreuve, Monoprix a ainsi décidé de troquer sa solution traditionnelle de mise en place des promotions contre les algorithmes d’IA de Verteego.
Les gains financiers ne constituent toutefois pas le seul intérêt de ce type d’usage de l’IA : l’environnement a aussi tout à y gagner, comme l’explique dans une tribune publiée l’an dernier Rupert Schiessl, le CEO et co-fondateur de Verteego: « L’IA prédictive permettrait à un magasin de 1000 m2 de s’épargner 10 tonnes de mise au rebut chaque mois. […] Elle est aussi capable d’économiser de l’énergie autour de la conservation des aliments en entrepôt ou en rayon, en adaptant la production et en présentant les bons assortiments, ceux qui ne finiront pas dans les invendus. »
L’IA en magasin, au contact du consommateur
L’IA s’insinue aussi dans le secteur de la grande distribution via des cas d’usage directement au contact du consommateur, ou du moins à l’œuvre dans les magasins, qu’ils soient physiques ou en ligne. Il s’agit par exemple de systèmes de recommandations de produits – dont les retailers sont friands pour leurs sites de vente en ligne1 – mais aussi, notamment, de solutions basées sur la vision par ordinateur : détection de ruptures de stock en rayon, identification et facturation automatique des articles glissés dans les paniers des clients. « Les retailers commencent à explorer ce type d’option. C’est le cas notamment chez Amazon, dans ses magasins Amazon Go, indique Vincent Blaclard. Une tendance que l’on observe également en Chine. Le pays est en effet devenu un laboratoire de l’innovation dans la grande distribution et le e-commerce, avec des acteurs tels que JD.com ou Alibaba, qui ont déjà lancé leurs magasins intelligents depuis plusieurs années. » Et en Occident, des entreprises telles que Trigo ou AiFi proposent également des solutions de vision par ordinateur visant notamment à permettre aux acteurs de la grande distribution de transformer leurs supermarchés traditionnels en véritables magasins automatiques.
Vers une diffusion généralisée de l’IA
Au-delà de ces usages tournés vers leurs clients ou en lien avec leur cœur de métier, les entreprises de la grande distribution cherchent désormais aussi à tirer parti de l’intelligence artificielle dans l’ensemble de leurs services, comme l’explique Vincent Blaclard : « Ce troisième volet est désormais l’un des plus importants. Les grands groupes les plus avancés en sont à un stade où ils dépassent les simples cas d’usage et où ils cherchent à diffuser et à démocratiser l’exploitation de la donnée au sein de tous leurs départements et de leurs business units. » Y compris, donc, auprès d’employés dont ça n’est pas la spécialité. « Cela demande un certain niveau de maturité car la donnée doit être contrôlée, documentée, retravaillée pour en améliorer la qualité… avant de la mettre dans les mains de personnes non–expertes », souligne l’expert d’Artefact. Un préalable également indispensable à l’émergence d’un autre volet de l’usage de l’IA dans le retail : le développement durable.
Outre son empreinte carbone, c’est en effet aussi plus largement son “empreinte sociétale” que la grande distribution pourrait demain parvenir à quantifier grâce à l’IA. « Sur ces questions de durabilité, différents axes de recherche sont explorés : mesure de l’impact sur la qualité de l’eau, de la consommation de métaux rares, ou encore des conséquences des activités de la grande distribution sur l’emploi local », liste Emmanuel Malherbe, directeur du centre de recherche récemment lancé par Artefact. Autant de pistes qui, avant le développement d’algorithmes, impliquent donc un travail sur les jeux de données eux-mêmes. « Les retailers vont tout d’abord devoir s’armer en construisant des infrastructures de données autour de ces aspects liés à la durabilité, avant, à terme, de diffuser cet usage de l’IA au sein de toute l’entreprise », souligne Vincent Blaclard. Et de conclure : « On n’en est, sur ce plan, qu’au début de l’histoire. »
Benoît Crépin
1. Dans le cadre de son opération « défi anti-inflation », Carrefour a par exemple lancé fin 2022 une solution de “product swapping” (échange produit) : le système propose au client de remplacer un produit de son panier par un équivalent moins cher, d’un simple clic sur un bouton.