
Laurent Gardès : sur les rails de l’IA
⏱ 3 minAprès vingt ans dans les télécoms, Laurent Gardès a pris un virage en 2018 pour devenir responsable du plateau IA de la Direction de l’innovation et de la recherche de la SNCF. Un aboutissement pour lui, qui a toujours été passionné d’informatique… et de trains.
A 48 ans, Laurent Gardès se retourne sur une carrière pas banale. Alors qu’il est désormais à la tête d’une équipe de recherche sur l’intelligence artificielle à la SNCF, il a effectué une grande partie de son parcours comme ingénieur télécom. Mais, à l’entendre, cette reconversion n’est pas due au hasard.
Mêler la technologie et l’humain
Premier indice : avec des parents enseignants-chercheurs – l’un dans la physique nucléaire et l’autre dans la chimie – il se familiarise très tôt avec le monde de la recherche scientifique. Qui plus est, son père étant passionné d’informatique, il expérimente dès le plus jeune âge les premières consoles de jeux et ordinateurs des années 1980. Une chance ! Logiquement, pour ses études, il choisit donc un bac C, puis l’université d’Orsay en licence et maîtrise d’informatique. C’est là qu’il découvre l’intelligence artificielle. « Un domaine extraordinaire », dit-il.
Elève brillant, il postule ensuite à Télécom ParisTech et intègre l’école directement en deuxième année. Pourquoi ce choix ? « Pour l’option proposée en troisième année intitulée « Ingénierie de la cognition et communication homme-machine », explique-t-il. Cet enseignement m’attirait. » Ses espoirs ne seront pas déçus puisqu’il conclut sa formation par un mémoire sur la création artistique et la réalité virtuelle. « J’avais construit un monde virtuel en 3D dans lequel on pouvait faire de la musique très intuitivement en manipulant des objets », raconte-t-il avec passion.
Des télécoms aux transports
Diplômé en 1998, il envisage alors la possibilité d’enchaîner avec une thèse, pour s’orienter vers la recherche. Mais à cette époque, il y a encore l’obligation de faire son service militaire… Sauf à être déjà en CDI dans une entreprise. « En mode urgence », comme il dit, le jeune ingénieur envoie donc des CV partout et entre chez Philips comme architecte logiciel. « Le sujet de la télévision numérique n’était pas le plus sexy pour moi, mais j’y ai beaucoup appris », confie-t-il. Il y reste finalement neuf ans, puis intègre l’entreprise Cisco, où il devient notamment UX designer (UX pour “User eXperience”, soit “expérience utilisateur”). Jusqu’à un licenciement économique, en 2017, qui se révèle être une véritable opportunité pour lui.
Il se trouve que Laurent Gardès est par ailleurs captivé depuis toujours par l’univers ferroviaire. « Je ne sais pas d’où ça vient exactement, ça a toujours été en moi, explique-t-il. Mais ce n’est pas l’objet train en lui-même qui m’intéresse, plutôt les réseaux ferrés, les interconnexions… Tout cet enchevêtrement qui fait finalement penser aux réseaux informatiques ». Pendant toutes ces années dans les télécoms, il avait gardé dans un coin de sa tête l’idée de travailler un jour dans les transports. Il postulait régulièrement à la RATP et la SNCF. Sans succès… Ce licenciement lui donne donc l’occasion de toucher du doigt son rêve puisqu’il se lance, à 43 ans, dans le mastère spécialisé Smart Mobility de Telecom ParisTech et l’École des Ponts. Pour ce cursus en alternance, son entreprise d’accueil n’est autre que la filiale Transilien de la SNCF. « Je cochais les bonnes cases pour intégrer le Lab Mass Transit, qui est le laboratoire d’innovations de Transilien, se réjouit-il. J’avais des cours en IA à l’école et une double casquette d’ingénieur et d’UX designer ».
L’IA des futurs trains autonomes
A la fin de son Mastère, la SNCF cherchait justement un responsable d’équipe pour faire de la recherche appliquée en IA. « Mon âge et mon expérience professionnelle, notamment chez Transilien, étaient des atouts », explique Laurent Gardès. C’est ainsi qu’il rejoint officiellement l’entreprise en 2018. « Il y avait toute une équipe à monter, on partait d’une page blanche, c’était un beau challenge ! ». Rapidement, il recrute des chefs de projets, des ingénieurs de recherche, des doctorants… Jusqu’à encadrer aujourd’hui une vingtaine de personnes. Son sujet de prédilection ? « L’IA de confiance, répond-il sans hésiter. Car les réseaux de neurones ont un fonctionnement très opaque en réalité, la façon dont ils traitent les données est assez mystérieuse… Par exemple quand on développe un train autonome qui utilise de la vision artificielle, on a besoin d’avoir des garanties sur son fonctionnement dans toutes les situations, y compris quand la météo est mauvaise et la visibilité moins bonne ».
Le plateau IA travaille également sur quatre autres axes de recherche : les facteurs humains, le traitement des langues, la vision artificielle et les séries temporelles. En tant que responsable, Laurent Gardès orchestre tout cela en lien avec les réseaux de recherche académique (IRT, c’est-à-dire les Instituts de recherche technologique, INRIA, ENS Paris Saclay…). « L’IA me fascine toujours, d’autant qu’elle est devenue aujourd’hui très puissante et très présente dans nos vies, y compris dans le domaine du transport ferroviaire, constate-t-il. C’est pourquoi je n’ai pas peur de dire à mon équipe que nos travaux ont une portée internationale au service de tous. »
Laure Blancard
Photo en une : © Charlotte Bommelaer