Julien Mairal, chercheur en apprentissage statistique, transforme les données en connaissances
⏱ 3 minCe jeune chercheur d’Inria Grenoble, spécialiste d’apprentissage statistique, d’optimisation mathématique et de reconnaissance visuelle a déjà de quoi créer sa petite équipe grâce à la prestigieuse bourse du Conseil européen de la recherche (ERC), décrochée en 2016. Pourtant, il ne se destinait pas particulièrement à la recherche…
« Après ma prépa, je suis entré à Polytechnique en 2002, raconte Julien Mairal. Pour moi, comme pour beaucoup d’étudiants de prépa, l’image de la recherche en maths, c’était des mathématiques pures, très abstraites, et cela ne me semblait pas me convenir. C’est en découvrant l’informatique et les mathématiques d’un point de vue appliqué, notamment dans le cadre d’un projet à l’X sur le traitement d’images, que j’ai commencé à changer de perspective. Pour en savoir plus, j’ai choisi de suivre le master MVA de l’ENS Paris-Saclay qui m’a passionné ! Notamment un cours sur les méthodes à noyaux, que je coenseigne d’ailleurs aujourd’hui au MVA avec Jean-Philippe Vert. »
Dès lors, son choix est fait, ce sera la recherche. D’élève brillant, Julien Mairal devient un chercheur prometteur. Son parcours est un enchaînement de choix avisés : un stage de 6 mois à l’université de Minnesota, une thèse en reconnaissance visuelle et apprentissage statistique à Inria Paris coencadrée par Jean Ponce et Francis Bach, un post-doc à Berkeley à la suite duquel il rejoint Inria Grenoble en 2012. « J’ai eu la chance de faire ma thèse dans une équipe ambitieuse, tempère-t-il, et d’avoir choisi un sujet porteur qui est vite devenu à la mode : l’estimation parcimonieuse. En sciences des données, cela consiste à privilégier le modèle mathématique le plus simple impliquant le plus petit nombre de variables, par exemple des sous-ensembles de signaux élémentaires dans le cas d’une image. Et vu la variété des domaines d’applications de cette technique, j’ai pu avoir de multiples collaborations pendant ces 3 années. » De fait, l’équipe qu’il avait rejointe en 2007, à sa création, est aujourd’hui à la pointe au niveau européen en matière de vision artificielle. A l’issue de sa thèse, le jeune docteur, déjà éclectique, décroche plusieurs prix*.
Un intérêt de plus en plus affirmé pour les sujets transverses
Julien Mairal fait remarquer qu’un sujet de thèse n’a pas vocation à rester figé dans le marbre : il évolue, au gré des centres d’intérêt de l’étudiant mais aussi des connaissances dans le domaine. « Pour ma part, j’ai progressivement orienté mes recherches de la reconnaissance visuelle et le traitement d’image vers l’apprentissage statistique et les techniques d’optimisation mathématique », précise-t-il. Après cela, direction Berkeley pour un postdoc dans l’équipe de Bin Yu, encore une fois assez pluridisciplinaire : l’occasion de travailler avec des experts de diverses sciences expérimentales comme la bioinformatique ou les neurosciences – ce sera son cas, pour modéliser la vision de certaines aires visuelles – ce qui lui donne définitivement le goût des sujets transverses. « Toutes les données peuvent être transformées en connaissances scientifiques !, confirme-t-il. C’est le but de l’apprentissage statistique. »
De retour en France fin 2012, il choisit l’Inria dont il apprécie l’organisation et les moyens, et Grenoble qui lui semble être la ville de province la plus dynamique en sciences des données. Il rejoint une équipe de premier plan en intelligence artificielle appliquée à la vision par ordinateur. Il estime, là encore, avoir eu la chance d’intégrer un domaine très porteur, au moment où l’explosion du big data nécessitait de développer de nouveaux outils. Domaine dans lequel ses travaux se font vite remarquer, plusieurs fois récompensés**, jusqu’à cette bourse du Conseil européen de la recherche (ERC) obtenue en 2016, une bourse destinée aux chercheurs aux idées novatrices, dont l’unique critère de sélection est l’excellence…
Avec ce million et demi d’euros, le jeune homme de 36 ans a 5 ans pour se consacrer à ses recherches en optimisation mathématique sans souci de financement. « Je recrute des doctorants et des post docs, précise-t-il, pour former une petite équipe et explorer le traitement de données massives en apprentissage statistique en inventant des algorithmes génériques plus simples et plus performants. Nous chercherons notamment à développer des méthodes pour exploiter un grand nombre de données non labellisées (par exemple, dans le cas d’images, sans la description de leur contenu). Cette phase coûteuse d’étiquetage, qui se fait pour l’instant à la main, est un des verrous de l’apprentissage. »
Une indispensable expérience internationale
Julien Mairal conseille aux étudiants d’avoir au minimum une expérience à l’étranger, d’y faire un stage voire une thèse et à ceux qui souhaitent s’orienter vers la recherche de faire absolument un post-doc, si possible aux Etats-Unis pour découvrir le monde de la recherche dans une grande université américaine. C’est très rare de le regretter a posteriori. « Un post doc, c’est par ailleurs une période unique dans la vie d’un chercheur, l’occasion de se consacrer à la recherche à 100 %, quasi sans contrainte, reconnait-il. Le choix de l’université est fondamental, mais surtout de l’équipe avec laquelle on va travailler, du côté humain. Il faut être dans un groupe actif avec des personnes inspirantes, qui ont aussi une bonne réputation en tant que collègues. C’est, à mes yeux, plus important que le sujet précis des recherches. »
Isabelle Bellin
* Prix de l’Association française pour la reconnaissance et l’interprétation des formes (AFRIF), prix de la meilleure thèse en sciences et technologies de l’information de la fondation EADS, 2e prix Gilles-Kahn.
** Prix européen Cor Baayen, prix PAMI (Pattern Analysis and Machine Intelligence) Young Researcher.