Pour Marco Cuturi, les maths plus attrayantes que la finance
⏱ 3 minS’il a longtemps hésité entre faire de la recherche académique et rejoindre l’industrie financière, Marco Cuturi a finalement opté pour la première. Ses travaux sur le transport optimal s’appliquent à de nombreux domaines, y compris à la finance mathématique.
Les mathématiques mènent à tout… même à être chercheur en mathématiques. Pourtant, Marco Cuturi, aujourd’hui enseignant-chercheur à l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae) ne se destinait pas forcément au monde de la recherche. Il a d’ailleurs effectué des pas de côté vers la finance et la Bourse. « Durant mes études à l’Ensae, j’ai travaillé à mi-temps pour une société de courtage en ligne : je codais des outils d’aide à la décision pour les clients », raconte-t-il. Paradoxalement, c’est ce travail qui lui a donné envie d’aller plus loin dans les mathématiques. « Je voulais aller au-delà des quelques règles simples que nous appliquions alors, indique-t-il. J’ai voulu découvrir l’apprentissage, l’intelligence artificielle. »
Direction le DEA (aujourd’hui master) MVA (Mathématiques Vision Apprentissage) de l’ENS Paris-Saclay. « J’ai adoré, les cours étaient de très bon niveau, avec des professeurs étrangers comme Donald Geman de l’université John-Hopkins à Baltimore aux États-Unis. Et il y avait un patchwork d’enseignants d’horizons nouveaux, une grande effervescence sur ces sujets. » Son objectif, après le DEA, était de travailler dans le privé. Mais cette année-là a tout changé : ces sujets lui ont tellement plu qu’il a décidé de faire une thèse. Après quelques difficultés pour trouver un financement, il atterrit à l’École des Mines de Paris sous la supervision de Jean-Philippe Vert, entre 2002 et 2005. « Un superviseur exceptionnel, je lui suis très redevable », remercie-t-il.
Cette thèse lui a offert l’occasion de passer trois mois, puis un an au Japon pour travailler avec des experts de la géométrie de l’information, théorie qui décrit les probabilités en termes géométriques. Le pays lui a plu, et lorsqu’il a eu le choix entre plusieurs post-docs, c’est pour le Japon qu’il a opté à nouveau. Mais l’attrait du privé restait fort. Or, à l’époque, il était facile de décrocher un emploi dans la finance. Direction, donc, un fond spéculatif, où il développe des algorithmes pour acheter et vendre automatiquement des actions. Mais la crise financière passe par là, et Marco Cuturi se retrouve sans emploi en août 2008.
Une nouvelle méthode de résolution numérique du « transport optimal »
Il obtient alors un poste d’enseignant (« lecturer ») à Princeton, entre début 2009 et mi-2010. Un poste intéressant, mais à grosse charge d’enseignement et à durée limitée. Pour espérer décrocher un poste de professeur aux États-Unis, il lui faudrait davantage de publications, qu’il n’a pas pu obtenir entre ses emplois dans le privé et l’enseignement. Heureusement, son attache avec le Japon le sert de nouveau : l’université de Kyoto apprécie son expérience d’enseignement à Princeton et l’embauche comme professeur associé en 2010.
Pour des raisons personnelles, il souhaite rentrer en Europe en 2016. Ce retour est grandement facilité par un article, publié en 2013, sur une nouvelle méthode de résolution numérique du « transport optimal ». Un problème vieux de plus de deux cents ans, formalisé par le mathématicien français Gaspard Monge, qui consiste à répartir le plus efficacement possible des ressources entre les utilisateurs. Par exemple, si l’on considère tous les meuniers et tous les boulangers de France, où chaque moulin doit-il envoyer sa production de farine de manière optimale ? Marco Cuturi a proposé une approche numérique très adaptée aux ordinateurs actuels. Ce problème du transport optimal a beaucoup de variantes, il demeure très apprécié de la communauté mathématique française, et il est très utile dans les data sciences. L’article de Marco Cuturi est cité, et c’est en partie grâce à lui qu’il a obtenu son poste d’enseignant-chercheur à l’Ensae. Aujourd’hui, dans la continuité de ses travaux de 2013, il travaille sur le transport optimal appliqué au machine learning. « J’essaie notamment d’utiliser cette théorie pour évaluer l’adéquation entre des modèles et les données, explique le chercheur. C’est une nouvelle manière de mesurer nos erreurs de modélisation. »
Son conseil aux data scientists :
Aux étudiants qui voudraient suivre sa voie, il conseille d’avoir de solides bases en mathématiques, mais aussi de comprendre les algorithmes qu’ils utilisent. Et surtout, de ne pas se laisser happer par les écoles de pensée. « Certains domaines deviennent très à la mode, prétendent tout résoudre, observe-t-il. Lorsqu’ils périclitent, ceux qui s’y sont lancés à corps perdu peuvent en souffrir. Pour pouvoir surfer d’un sujet à l’autre, il faut bien maîtriser les fondamentaux en mathématiques. »