Wilder Lopes, CTO d’Upstride : « Il faut sortir de sa zone de confort »
⏱ 4 minCe jeune brésilien sait de quoi il parle : de São Paulo à Paris et Montpellier en passant par Munich, de ses études d’ingénieur à la recherche académique et au travail en entreprise dans des start-up ou chez Thales… en douze ans, il a bien roulé sa bosse. Sa dernière aventure : sa propre start-up, Upstride, créée l’an dernier.
Curieux de nature, aimant comprendre ce qu’il fait, à quoi cela sert concrètement, Wilder Lopes a rapidement quitté l’entreprise brésilienne qui l’avait embauché en 2009 après sa formation d’ingénieur en électronique à l’université fédérale de Bahia, au Brésil. « C’était pourtant très excitant de concevoir et développer des circuits intégrés, reconnaît-il, et j’aurais sûrement pu faire une belle carrière d’ingénieur en restant tranquillement au Brésil. Mais j’ai eu envie d’en savoir plus, de faire de la recherche, de publier des articles, d’être plus calé en maths… » Il s’inscrit au master de traitement du signal de l’université de São Paulo et découvre les multiples applications, que ce soit pour la voix, le texte ou les images.
Voyager et se faire connaître
« C’est à cette époque que j’ai conçu mes premiers algorithmes de traitement du signal, très légers, destinés à des smartphones, raconte-t-il. J’ai publié trois articles pendant mon master, ce qui m’a permis d’aller dans des conférences, de voyager hors de mon pays, jusqu’en Europe. J’ai adoré et cela m’a convaincu de me lancer dans un doctorat. » Doctorat qu’il fait entre le Brésil (université de São Paulo) et l’Allemagne (au Media Technology Department de l’université technique de Munich) sur un sujet appliqué faisant appel à du traitement de signal et du machine learning. « Je travaillais sur la perception des robots pour qu’ils soient capables de se déplacer dans l’espace. Avec une start-up basée à Munich, j’ai continué à développer les techniques que j’avais créées au cours de mon master, explique-t-il, pour concevoir des méthodes « light » de localisation par l’image. J’ai ainsi pu associer théorie et pratique, travailler sur des théorèmes, des preuves mathématiques, créer un site web open source sur mes travaux (openga.org)… » et publier cinq articles sur le sujet ! ainsi que les présenter en conférences.
Aucun doute ! Après ces années de thèse, plus que profitables intellectuellement, Wilder Lopes choisit de poursuivre en post-doc. Alors qu’il cherche du côté des États-Unis, il est contacté par Aurore Savoy-Navarro, alors professeure à l’université Pierre-et-Marie-Curie, aujourd’hui chercheure au CEA et au CERN. Elle lui propose de rejoindre le projet européen Infieri pour travailler sur la collecte et le nettoyage des immenses quantités de données du CERN. « Pendant un an, en 2016, j’ai travaillé avec le département recherche de Thales à Palaiseau, un des leaders du projet, se souvient-il. Je devais développer des méthodes pour allouer, en temps réel, d’énormes quantités de données, aux différents types de processeurs (CPU, GPU, FPGA) de machines de calcul haute performance (HPC pour High Performance Computing). De quoi optimiser l’efficacité de ces machines selon le traitement des données. » L’occasion de côtoyer des ingénieurs et des chercheurs de diverses disciplines, physiciens, biologistes…
De la recherche à l’industrie
« Ces recherches étaient passionnantes et j’ai été intégré dans une vaste communauté de chercheurs, notamment grâce au réseau lié à la prestigieuse bourse du MIT, dont j’ai pu bénéficier », précise-t-il. Après ce post-doc dans une très grande entreprise, toujours intéressé par le concret, soucieux de voir où sont appliqués ses propres développements, Wilder Lopes choisit de rejoindre UCit, une petite boîte de consultants en calcul haute performance, basée à Montpellier, dont il sera le premier chercheur. « Depuis, c’est devenu une start-up qui vend des logiciels pour le HPC, raconte-t-il. Pendant un an et demi, j’y ai développé des logiciels pour optimiser l’allocation aux interfaces de stockage de ces machines grâce à des techniques de machine learning. J’ai utilisé des algorithmes de la littérature et j’en ai conçus. »
Il prend alors conscience qu’il peut mettre à profit ses compétences pour développer des produits, et probablement gagner sa vie en creusant son propre sillon, autour de ses propres idées. Et il n’en manque pas ! C’est à ce moment-là qu’il est repéré et contacté via LinkedIn par Entrepreneur First (EF), un accélérateur de start-up britannique qui s’implante alors à Paris après avoir ouvert des bureaux à Berlin et Hong Kong. L’originalité de leur approche pour aider des start-up deep tech à éclore est de miser d’une part sur des talents et non les projets ou les idées et d’autre part, sur l’association de compétences des cofondateurs, l’un apportant une expertise technique, l’autre business.
Se lancer
« Ils m’ont fait rencontrer plusieurs personnes, confirme Wilder Lopes. Et je me suis lancé avec Gary Roth, ingénieur de Telecom Paris avec un master à la London School of Economics. Il est devenu mon associé, CEO d’Upstride. Puis, nous avons commencé à réfléchir à une idée de boîte… J’ai proposé de développer une solution pour optimiser le deep learning : sur le même principe que celles sur lesquelles j’avais travaillé chez Thales pour optimiser le calcul de haute performance, j’ai développé une API, un logiciel capable de booster le deep learning en réduisant d’un facteur 5 à 10 la quantité de données nécessaire pour l’entraînement des algorithmes. » Au cours de cette année, les deux compères ont bénéficié de 100 000 € octroyés par Entrepreneur First, de quoi embaucher un ingénieur en CDI et un stagiaire « qu’on aurait bien aimé garder mais qui a dû rejoindre son école, l’X… »
Pour l’instant, Upstride teste son prototype dans plusieurs start-up parisiennes avant de le commercialiser, et devrait finaliser un POC avant la fin de l’année avec des industriels de l’automobile. « Nous sommes trois salariés aujourd’hui et nous sommes épaulés par deux conseillers scientifiques, Christopher Doran de l’université de Cambridge (Grande-Bretagne) et Jean-Michel Alimi (directeur de recherche au CNRS), précise le jeune dirigeant. Pour notre développement ultérieur, notre implantation à Paris nous permettra de bénéficier du vivier de talents d’ingénieurs formés en France. C’était un point important dans mon choix de rester dans l’Hexagone. »
Des conseils ?
Avec le recul, à la lumière de son parcours, Wilder Lopes insiste sur deux points : la curiosité scientifique et culturelle. « Il faut toujours vouloir en savoir plus, apprendre, comprendre, résume-t-il. Et il faut accepter de sortir de sa zone de confort, aller vers d’autres cultures, à l’étranger, comprendre comment pensent et réfléchissent les autres, ailleurs dans le monde. C’est fondamental ! »
Isabelle Bellin