
A380 : la maintenance prédictive décolle
⏱ 2 minAir France déploie une solution de maintenance prédictive sur ses géants des airs. Nom de code : Prognos. Comment fonctionne-t-elle ? Quels sont les résultats ? Le DAP a mené l’enquête…
Depuis octobre 2016, les dix très gros porteurs A380 d’Air France sont dotés d’une solution de maintenance prédictive baptisée Prognos. Le concept général ? « Il s’agit de détecter les signatures de prémisses de pannes cachées dans les données enregistrées en continu sur chaque vol, résume Paul-Louis Vincenti, data analyst au département Recherche Opérationnelle chez Air France Industries KLM Engineering & Maintenance (AFI KLM E&M). L’objectif est d’éviter toute panne inopinée qui empêcherait l’avion de décoller générant un retard important, voire une annulation de dernière minute. » L’enjeu est de taille pour les compagnies aériennes. Ces immobilisations sur le tarmac sont très coûteuses, surtout lorsqu’elles surviennent en escale au bout du monde : réservation de chambres d’hôtel pour les passagers, rebooking sur un vol parfois concurrent, acheminement de pièces et réparation sur place, acheminement de navigants… La facture peut vite atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros !
Concrètement, comment fonctionne cette nouvelle solution de maintenance ? Tout comme les autres avions de dernière génération type A350 ou Boeing 787, les A380 sont truffés de centaines de milliers de capteurs. Sur chacun de leurs équipements, des centaines de capteurs enregistrent en continu divers paramètres sous forme de séries temporelles entre 1 et 16 Hz : puissance électrique, vitesse, angle, température… « Dès qu’un A380 d’Air France atterrit à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, il transmet par WiFi l’intégralité des données ainsi enregistrées sur son dernier aller-retour, soit environ 1 Go en moyenne », explique Paul-Louis Vincenti. Prognos traite ensuite toutes ces données en moins de 30 minutes, puis transmet ses résultats au département maintenance avion d’AIR FRANCE KLM.
Des résultats qui doivent rester explicables
Dans la pratique, les données récupérées sont déployées sur une infrastructure Big Data dédiée (HDFS: Hadoop Distributed File System). « Afin de traiter cette grande quantité de données et fournir un résultat en moins de 30 minutes, Prognos utilise la puissance de l’architecture distribuée d’un cluster et du framework Hadoop », indique Paul-Louis Vincenti. Les data analysts d’AFI KLM E&M développent leurs algorithmes prédictifs en python et en spark. Ils s’appuient sur la librairie scikit learn* et privilégient les méthodes de machine learning par apprentissage supervisé, en entrainant les classifieurs sur l’historique de précédents vols. « Nous sommes en effet très attachés à l’explicabilité des résultats, tient-il à préciser. Voilà pourquoi nous évitons volontairement le deep learning, et les réseaux de neurones de manière générale. Nous voulons toujours pouvoir justifier la décision de dépose d’un équipement d’un point de vue physique. »
L’impact est déjà significatif… En 2017, suite à des détections de prémisses de panne par Prognos, la flotte d’A380 d’Air France a remplacé huit pompes d’alimentation moteur, et quatre capteurs de rotation logés dans le nez des trains d’atterrissage. « Jusqu’à présent, toutes ces déposes effectuées en mode prédictif ont été confirmées par le constructeur comme concernant des équipements effectivement défectueux après inspection », se félicite Paul-Louis Vincenti. Fort de ces résultats, l’outil de maintenance prédictive a aussi été mis en place sur les 18 Boeing 747 de KLM. AFI KLM E&M se dit aujourd’hui prête à déployer Prognos sur d’autres compagnies aériennes, et sur d’autres types d’avions dès 2018 : A350, A320/330, Boeing 777 et 787… Autant de projets ambitieux qui devraient mobiliser une équipe de quinze personnes l’an prochain.
Jean-Philippe BRALY
* Scikit-learn est une librairie développée à l’université Paris-Saclay et notamment à Inria.