
Bientôt un test sanguin de diagnostic précoce d’Alzheimer
⏱ 5 minLe modèle animal breveté par la start-up parisienne AgenT reproduit le développement d’Alzheimer, y compris avant l’apparition des premiers symptômes. De quoi identifier, par machine learning, les principaux biomarqueurs sanguins de la maladie, puis développer un modèle prédictif qui révèle sa progression. Une approche très prometteuse, bientôt appliquée à l’homme par une méthode par transfer learning inédite.
« Notre point fort est notre démarche conjointe en neurosciences et en intelligence artificielle (IA) et le fait que nous ayons ces deux compétences en interne », explique Jérôme Braudeau, docteur en neurosciences, CEO d’AgenT, cofondé en mars 2018 avec Baptiste Billoir, diplômé d’HEC Paris. En matière de diagnostic d’Alzheimer, de plus en plus de recherches portent sur l’identification de biomarqueurs sanguins caractéristiques de la maladie par des méthodes basées sur l’IA. Il suffirait alors d’une analyse de sang, solution à la fois non invasive et utilisable à grande échelle, pour établir le diagnostic. Mais ces travaux portent sur des malades diagnostiqués, donc déjà symptomatiques. Or, on sait que cette maladie neurodégénérative incurable, qui touche près d’un million de personnes en France(1), apparaît chez l’homme, sous sa forme silencieuse, au moins vingt ans avant les premiers symptômes de démence. Par ailleurs, les biomarqueurs sanguins évoluent en fonction du stade d’avancement de la pathologie. Il est ainsi impossible, y compris avec les technologies d’IA les plus récentes, d’identifier les biomarqueurs de la phase silencieuse à partir de sang de patients déjà diagnostiqués.
« Nous visons la détection de cette phase silencieuse, poursuit Jérôme Braudeau. C’est le Graal, car cela ouvrira la voie à des traitements préventifs efficaces, qui pourront ralentir voire empêcher l’apparition de la démence. » Pour identifier les biomarqueurs, il faudrait disposer d’échantillons de sang de patients en phase silencieuse annotés avec certitude, ce qui est impossible, puisque le patient ne présente alors aucun signe d’Alzheimer et encore moins d’indice quant à son stade de progression. D’où le choix d’utiliser un modèle animal, les souris ou rats de laboratoire étant sacrifiés au même moment que le prélèvement de sang et leurs cerveaux analysés. « Quelque 150 modèles animaux sont référencés pour Alzheimer, précise le chercheur. Mais aucun ne reproduisait totalement la phase silencieuse de la maladie. Car ces animaux, dont le génome est manipulé pour produire les deux types de lésions cérébrales typiques d’Alzheimer (des protéines amyloïdes-βet les protéines Tau phosphorylées) « naissent » donc malades, en phase terminale. » Pour établir son diagnostic, l’équipe avait besoin de reproduire tous les stades de la phase silencieuse et l’apparition séquentielle des deux types de lésions cérébrales.
Un modèle animal inédit
Dès 2013, un nouveau modèle animal est breveté : il consiste non pas à modifier le patrimoine génétique de l’animal dans son entier, mais à injecter un virus porteur de gènes humains obligeant quelques neurones à produire de l’amyloïde-β, dont la concentration augmentera progressivement avec l’âge de l’animal ; les Tau-phosphorylées apparaissant naturellement dans un second temps(2-3). L’expérience est donc plus longue, mais les données qui en découlent sont proches des conditions observées chez l’homme. Pour mener cette idée à son terme, il faudra sept ans à Jérôme Braudeau et à l’actuel directeur scientifique de la start-up, Benoît Souchet, docteur en neurosciences, alors respectivement chercheurs au CEA et à l’Inserm.
« Nous avons alors pu décomposer la phase silencieuse d’Alzheimer selon différents stades de progression en fonction des étapes clés qui signent la pathologie cérébrale, raconte Jérôme Braudeau. Chez le rat, nous étions quasiment capables de dire le jour où la maladie avait commencé puisque c’est nous qui l’avions induite ! Nous disposions donc d’une banque de sang de rats avec une annotation ultra-précise. » C’est là qu’intervient l’IA : elle a permis de détecter les biomarqueurs sanguins les plus pertinents des différentes phases d’Alzheimer, y compris aux tout premiers stades. Ces recherches ont été rendus possibles grâce à l’association France Alzheimer, soutenant financièrement pour la première fois un projet porté par une start-up.

Suite à l’injection d’un virus porteur de gènes humains, les quelques neurones en rouge vont produire de l’amyloïde-β, dont la concentration augmentera progressivement avec l’âge de l’animal. Les neurones en vert restent quant à eux normaux. En bleu, les noyaux des neurones. @ Benoît Souchet, AgenT
Des données à haute valeur ajoutée
Point fort de l’approche : contrairement aux études concurrentes à base d’IA, souvent menées sur des données issues de milliers d’échantillons de patients déjà diagnostiqués, AgenT mise sur la qualité d’un jeu de données plus réduit mais issu d’un système biologique totalement contrôlé, les rats ayant la même nourriture et le même environnement de vie –ce qui n’est jamais le cas à partir de données issues de patients humains–, la seule chose qui les différencie étant la présence ou non de la maladie et son stade de progression.
« C’est exceptionnel de disposer de données qui varient en fonction d’un paramètre unique, la présence de la maladie d’Alzheimer, tout en prenant en compte l’ensemble des constituants sanguins majeurs, c’est-à-dire 2200 éléments issus d’analyses lipidiques, protéomiques et métaboliques, s’enthousiasme Alkéos Michaïl, CTO d’AgenT. Or, meilleure est la qualité de la donnée, plus il sera aisé à un algorithme d’IA d’apprendre sur un nombre réduit d’exemples. À partir de nos échantillons de sang annotés en fonction des analyses cérébrales correspondantes – c’est-à-dire que tel prélèvement correspond à un animal sain, tel autre à un animal malade, et à quel stade –, l’algorithme identifie les biomarqueurs d’Alzheimer les plus pertinents. » Résultat : l’identification d’environ 100 biomarqueurs utilisables pour diagnostiquer la phase silencieuse d’Alzheimer, qui fait l’objet d’une demande de brevet.
Le docteur en mathématiques précise qu’aucun biomarqueur, pris seul, ne peut permettre de détecter la maladie en phase silencieuse. Il faut une combinaison complexe de biomarqueurs. « Comme c’est souvent le cas dans le domaine biomédical, la plupart des algorithmes ne donnent pas des résultats satisfaisants, notamment les algorithmes linéaires basés sur des seuillages simples, ajoute-t-il. Nous avons développé une méthode algorithmique de sélection de combinaisons reposant notamment sur un entrelacement de forêts aléatoires, de machines à vecteurs de support et de réseaux de neurones artificiels. Nous avons ainsi détecté les biomarqueurs caractéristiques de la phase silencieuse d’Alzheimer tout en vérifiant leur reproductibilité au sein de différentes cohortes. À partir de cette sélection de biomarqueurs, nous avons développé un modèle prédictif pour affecter les rats à leur statut pathologique mais également à leur stade de progression. » L’équipe a été conseillée par des membres du CMLA (ENS Paris-Saclay – CNRS) via une prestation avec Kannon MSD, émanation du laboratoire qui propose des outils pour améliorer le processus de prise de décision.
De l’animal à l’homme
La prochaine étape est la validation clinique chez l’homme, par transfer learning, pour calibrer l’algorithme développé chez le rat à l’homme. Cela consistera à transférer la connaissance du jeu de données « source » acquise sur le modèle animal, à un jeu de données « cible », les échantillons de patients dont l’annotation est par définition partielle. « Pour cela, nous disposerons de 300 à 500 échantillons de sang issu de partenariats avec des hôpitaux français et européens. Réservés à des recherches, ils ont été prélevés, pour certains il y a vingt ans, chez des personnes qui aujourd’hui ont développé une démence Alzheimer, précise Jérôme. Nous pourrons ainsi calibrer notre modèle mathématique pour diagnostiquer les patients grâce à la connaissance algorithmique acquise chez le rat. Nous mesurerons ensuite ses performances à prédire la présence d’une maladie d’Alzheimer en phase silencieuse. Si les résultats de cette validation clinique sont positifs, il s’agira de l’une des plus grandes avancées contre Alzheimer des trois dernières décennies. »
Pour aller plus loin
- La maladie d’Alzheimer en chiffres
- UN MODÈLE ANIMAL INÉDIT POUR ACCÉLÉRER LA LUTTE CONTRE LA MALADIE D’ALZHEIMER !
- Audrain et al (2017), Cerebral Cortex
Isabelle Bellin