Le machine learning permet de découvrir la contribution inattendue des algues terrestres au cycle du carbone
⏱ 4 minLes algues terrestres, ces microorganismes unicellulaires présents à la surface du sol comme dans les milieux humides, étaient bien peu considérées jusque-là. Grâce à une modélisation par apprentissage automatique, une équipe européenne découvre qu’elles assimilent l’équivalent d’environ 30 % de nos émissions anthropiques de carbone.
« Je me doutais que la contribution des algues terrestres à l’assimilation du carbone était largement sous-estimée, mais je n’aurais jamais imaginé que c’était à ce point ! » reconnaît Vincent Jassey du Laboratoire écologie fonctionnelle et environnement (CNRS, Toulouse INP, UT3 Paul Sabatier), l’auteur principal d’une étude1 parue en février dernier dans New Phytologist.
Un mot d’abord sur ces algues, qui ne ressemblent pas du tout à l’image que l’on s’en fait. Dans l’arbre phylogénétique des espèces, les algues sont un grand ensemble réunissant tant les algues marines macroscopiques que des algues microscopiques du phytoplancton, ou les algues terrestres dont il est ici question. Leurs caractéristiques communes ? Ni tiges, ni racines, ni feuilles, ni fleurs. Ce sont néanmoins des organismes photosynthétiques très performants qui synthétisent leurs sucres à partir du CO2 (dioxyde de carbone) atmosphérique, même quand la lumière se fait rare à plusieurs mètres sous la surface de l’eau ou quelques centimètres dans le sol.
ALGUES VERTES UNICELLULAIRES ET CYANOBACTÉRIES
Les algues terrestres sont des organismes unicellulaires dont les plus documentés sont des chlorophytes (photo ci-dessous), petites algues vertes, et des cyanobactéries (ci-dessous), souvent appelées algues bleues. Ce sont des plantes pionnières qui vivent tant dans les milieux humides comme les tourbières que dans les déserts rocailleux, ou au sommet des montagnes où elles forment des biofilms sur le sol sur lesquels des mousses, puis des plantes vasculaires, peuvent se développer.
DES ORGANISMES QUI CAPTENT EUX AUSSI DU CARBONE
« Je travaille sur les tourbières, et je me suis rendu compte que ces algues étaient présentes en grande quantité, raconte Vincent Jassey. J’ai voulu savoir quelle pouvait être leur contribution au cycle du carbone. Car, jusque-là, dans le règne végétal, seules les plantes étaient prises en considération en termes d’assimilation du dioxyde de carbone (CO2). Or, nous avons montré que les algues terrestres y contribuent aussi, notablement. »
Pour parvenir à ce résultat, l’équipe de chercheurs a d’abord réuni toutes les connaissances scientifiques accumulées sur le sujet depuis les années 1970 : 166 publications à partir desquelles ils ont pu estimer, pour une centaine de sites, la productivité primaire de ces plantes, autrement dit la quantité de carbone assimilé par an. Leur première conclusion rebat les cartes quant aux habitats préférés de ces algues : même dans les milieux tempérés, là où la végétation est importante et donc la lumière au niveau du sol moindre, ces algues terrestres sont dix fois plus abondantes que dans les milieux désertiques où il y a peu de concurrence.
DES FORÊTS ALÉATOIRES POUR ÉVALUER LEUR CONTRIBUTION MONDIALE
Les chercheurs se sont ensuite demandé comment extrapoler ces résultats à l’échelle de la planète. Ils ont tenté une modélisation de la productivité primaire des algues terrestres selon leur milieu de vie en testant six algorithmes relativement simples comme les forêts aléatoires (Random Forest), des modèles linéaires généralisés simples ou bayésiens, des modèles de régression ou encore la méthode des k-plus proches voisins (k-nearest neighbors ou KNN).
Pour caractériser les conditions environnementales où vivaient les algues dans cette centaine de localisations, ils ont utilisé les données de Google Earth Engine, des données satellitaires et de terrain sur les températures de l’air, du sol, les précipitations, l’humidité, le pH du sol, sa teneur en carbone, etc. Et ils ont sélectionné les six variables les plus caractéristiques de la productivité primaire des algues terrestres.
« Nous avons testé ces six algorithmes sur 80 % de notre jeu de données et évalué les prédictions sur les 20 % restants, explique Vincent Jassey. C’est l’algorithme de classification Random Forest qui s’est révélé le plus efficace, tant en termes de prédictions que de minimisation des erreurs. Nous avons ensuite vérifié la robustesse de notre modèle : sa sensibilité à la taille du jeu de données en le testant sur des jeux de plus en plus réduits ; le risque d’autocorrélation spatiale (similarité du résultat pour des points proches) en sélectionnant des points au hasard parmi les treize clusters spatiaux de données identifiés (sites spatialement proches mais pas forcément du même type d’écosystème) ; et enfin l’effet du hasard en attribuant d’autres données environnementales aux productivités primaires. »
DES FLUX TOTALEMENT IGNORÉS DANS LE CYCLE DU CARBONE
Les chercheurs notent que la robustesse de leur modèle vient aussi du fait que la variabilité de situations environnementales de cette petite centaine de points est représentative à 88 % de celle des milieux terrestres du globe et cela pour les six variables retenues. « Nous avons alors utilisé ce modèle Random Forest pour prédire la productivité primaire des algues terrestres partout sur le globe, poursuit le chercheur. Pour générer de la variabilité, nous avons défini dix sous-jeux de données de même taille, à partir desquels nous avons réalisé dix prédictions. Nous avons ensuite fait la moyenne de ces dix cartes prédictives. »
Résultat : les algues terrestres assimileraient 3,6 gigatonnes (Gt) de carbone par an. Soit environ 6 % de ce que la végétation terrestre absorbe. Ou encore l’équivalent de 30 % des émissions anthropiques. « C’est énorme ! s’étonne encore Vincent Jassey. Même si ce n’est qu’une estimation, elle révèle des flux totalement ignorés dans le cycle du carbone. » Pour améliorer ce premier résultat il faudrait notamment affiner l’évaluation de la temporalité annuelle de photosynthèse de ces plantes, ainsi que l’impact des variations saisonnières tout comme le devenir de ce carbone assimilé. Quoiqu’il en soit, cette première étude a montré l’importance de préserver la microflore des sols.
Isabelle Bellin
Image de Une : Productivité primaire des algues dans le monde. © Vincent Jassey et al. New Physiologist.
1. Vincent Jassey et al. Contribution of soil algae to the global carbon cycle. New phytologist, 2022. doi.org