Les données au service des demandeurs d’emploi
⏱ 3 minSix ingénieurs ont créé Bob Emploi, un site de conseils personnalisés basés sur la science des données. Combinant pragmatisme et bienveillance, ils ont déjà aidé 115 000 utilisateurs et ne comptent pas en rester là.
Lorsque des ingénieurs décident de donner du sens à leurs travaux, ça peut engendrer des projets captivants ! Paul Duan et Eric Liu, deux ingénieurs en sciences des données de la Silicon Valley ont fondé en 2014 Bayes Impact, une association à but non lucratif, aujourd’hui basée en France et à San Francisco. Ils sont rapidement rejoints par quatre autres ingénieurs. Leur but : travailler sur des projets sociétaux, à l’interface entre les ministères et les entreprises traditionnelles. Ils n’ont pas hésité à amputer leur salaire de plus de la moitié pour être en phase avec leurs valeurs.
Le produit phare de Bayes Impact, c’est Bob Emploi, un site développé depuis 2016 destiné à aider les chômeurs à trouver plus vite un travail. Le demandeur d’emploi s’inscrit gratuitement sur le site, répond à un petit questionnaire, puis reçoit automatiquement un diagnostic écrit ainsi que des recommandations et des conseils. « Nous apportons de nouvelles idées, des pistes de recherche, des conseils d’organisation, précise Pascal Corpet, directeur technique de Bayes Impact. Ces conseils sont très personnalisés, par exemple le site précisera au demandeur d’emploi qu’il est important d’indiquer sa maîtrise de tel logiciel sur son CV. Mais ça reste « non jugeant », contrairement, dans certains cas, à un conseiller en chair et en os. » Aujourd’hui, après 16 mois de développement, Bob Emploi ne propose pas d’accompagnement plus poussé, hormis une relance quelques mois plus tard.
Comment fonctionne cet algorithme ?
Il utilise d’une part des données en accès libre, comme celles en open data de Pôle emploi ou de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Ces données permettent par exemple d’indiquer à un utilisateur que son métier a peu de débouchés dans son département, mais davantage dans le département voisin. Le site utilise également des données sur le devenir des chômeurs sur 10 ans en fonction de leur parcours, par exemple après avoir eu recours à une formation… Ces données sont malheureusement souvent de mauvaise qualité et difficile à exploiter : elles sont très dispersées et mal documentées. Impossible par exemple de savoir ce qui se passe dans ces formations. Mais ce n’est pas le cas pour tous les jeux de données, et dans l’ensemble la plupart des données sont de « qualité ». L’enjeu est de récupérer celles qui intéressent spécifiquement chaque demandeur d’emploi, de les remettre en contexte, et de fournir grâce à cela des informations et des conseils pertinents.
Mais comment évaluer la qualité de ces conseils ?
Certes 86 % des utilisateurs de Bob Emploi indiquent que les conseils ont été intéressants, utiles, voire très utiles, mais les ingénieurs souhaiteraient mettre en place un vrai retour d’expérience géré par une intelligence artificielle : savoir quand les personnes retrouvent un emploi, et si les conseils donnés ont été utiles, afin de repérer les plus efficaces. Cela reste compliqué, car il s’écoule beaucoup de temps entre les conseils et le fait de retrouver un emploi.
Quant à ceux qui craindraient pour les données privées des chômeurs, Pascal Corpet tient à les rassurer. « L’ensemble de l’équipe n’a pas accès aux données des utilisateurs, tout est anonymisé. Le site ne demande ni le numéro de sécurité sociale ni le numéro pôle emploi des utilisateurs. »
A ce jour, 115 000 utilisateurs ont bénéficié des services de ce site. Cela peut sembler beaucoup. C’est peu au regard des 135 000 « nouveaux arrivants » au chômage chaque mois. Bayes Impact veut faire connaître son outil, en travaillant avec des partenaires, tout en récoltant toujours plus de données auprès de salons de l’emploi par exemple. Autre axe de progrès : ne pas se contenter de donner des conseils, mais aussi trouver le moyen de motiver régulièrement les demandeurs d’emploi. En discutant avec des chômeurs, des employeurs et des conseillers de Pôle Emploi, les ingénieurs de Bayes Impact ont réalisé que ce qui différencie deux chômeurs, ce n’est pas tant le métier ou la position géographique que la motivation et l’organisation. Et là, les données entrent de nouveau en jeu, en proposant par exemple à un chômeur depuis six mois un travail saisonnier pour le remettre dans la course et le remotiver. « Discuter avec les utilisateurs du site est presque plus important que les données », souligne Pascal Corpet. Cruciale aussi est la manière de formuler les conseils : il faut de la bienveillance pour que l’utilisateur soit prêt à en tenir compte.