Fabien Lotte :
décoder les ondes cérébrales pour contrôler l’ordinateur par la pensée
⏱ 3 minDirecteur de recherche au centre Inria de Bordeaux, Fabien Lotte travaille avec son équipe sur les interfaces cerveau-ordinateur non-invasives. Il fait appel à l’apprentissage automatique pour mieux interpréter les signaux obtenus par électroencéphalographie.
Fan de jeux vidéo dans les années 1990, alors qu’il était au collège, le jeune Fabien Lotte rêve de devenir un jour programmeur. Après un Bac S, il s’oriente donc vers des études d’ingénieur à l’INSA de Rennes. Mais lors d’un premier stage à l’Irisa de Rennes en 2004, il entend parler pour la première fois des interfaces cerveau-ordinateur (ou brain-computer interfaces). Un monde totalement nouveau pour lui et sur lequel la recherche débute tout juste en France. « Le côté science-fiction m’a attiré », explique-t-il avec le sourire. C’est pourquoi il décide de poursuivre avec un master de recherche spécialisé en « Intelligence artificielle et images » et d’effectuer un second stage sur ce thème.
Collaborer avec des spécialistes du cerveau
Sa fascination est telle que l’étudiant se lance ensuite dans une thèse, toujours dans la même équipe de recherche à l’Irisa de Rennes et sur un sujet qui lui va comme un gant : l’utilisation d’interfaces cerveau-ordinateur dans des applications de réalité virtuelle comme les jeux vidéo. Le projet OpenViBE, auquel il participe en développant des algorithmes de traitement des signaux cérébraux, est d’ailleurs pionnier en France. Il collabore avec des chercheurs en neurosciences de l’Inserm et découvre les subtilités du fonctionnement du cerveau.
Pour son post-doctorat, il vise alors un laboratoire de renom dans un pays anglophone – pour perfectionner son anglais. Ce sera le Institute for Infocomm Research de Singapour, au sein du Brain-Computer Interface Laboratory. Là-bas, il travaille pendant deux ans sur des algorithmes d’apprentissage automatique, que l’équipe utilise notamment pour des applications médicales, comme la rééducation de patients ayant subi un AVC (accident vasculaire cérébral). « Une expérience très intéressante dans un environnement multiculturel qui m’a permis de découvrir d’autres façons de travailler », raconte-t-il.
Vers un décodage plus robuste et plus stable
Dès sa deuxième année à Singapour, il tente les concours de recrutement de chercheurs en France pour préparer son retour. C’est un succès du premier coup ! Entre un poste de maître de conférences à Rennes et un autre de chercheur à Bordeaux, il choisit le second pour se consacrer pleinement à la recherche et parce que sa compagne – également chercheuse – a une opportunité professionnelle sur place. En 2011, il intègre donc le centre Inria de Bordeaux comme chargé de recherche au sein de l’équipe Potioc, qui se consacre au développement et à l’évaluation de nouvelles méthodes d’interaction homme-machine, dont font partie les interfaces cerveau-ordinateur. « Aujourd’hui, on arrive à décoder les signaux cérébraux, mais c’est encore loin d’être parfait, explique-t-il. Par exemple, on peut détecter si l’utilisateur imagine un mouvement de la main gauche ou de la main droite, mais sans déterminer avec précision la nature de son geste ». Sa mission ? Créer de nouveaux algorithmes de machine learning plus robustes et plus stables pour permettre aux utilisateurs d’apprendre à mieux contrôler ces interfaces. « Car c’est comme le vélo, cela s’apprend ! », précise-t-il.
Au quotidien, Fabien Lotte travaille donc avec des volontaires (collègues, étudiants…) qu’il équipe d’un casque couvert d’électrodes sur la tête afin de relever leur électroencéphalogramme, c’est-à-dire l’activité électrique du cerveau, mesurée en plusieurs points sur le cuir chevelu. Les applications potentielles sont variées : contrôler des jeux vidéo par la pensée – même si cela reste dans un futur lointain, selon lui – ou encore permettre à des personnes paralysées de contrôler des systèmes d’assistance (un éditeur de texte par exemple) via leur activité cérébrale.
De nombreuses applications encore à explorer
En 2016, après avoir obtenu son habilitation à diriger des recherches (HDR), il décide de partir un an au Japon comme chercheur invité au RIKEN Brain Science Institute. « Un enrichissement à la fois personnel et professionnel, car j’ai pu découvrir ce pays que j’adore et travailler sur de nouvelles recherches en rapport avec la charge mentale et les émotions », se souvient-il, ravi. Puis, en 2019, il devient directeur de recherche, toujours à l’Inria de Bordeaux. A 39 ans, Fabien Lotte est désormais fier d’être reconnu pour son expertise. Ses projets pour les années à venir ? Développer avec son équipe des interfaces capables de proposer des parcours personnalisés aux visiteurs de musées virtuels ou encore d’aider des personnes victimes d’AVC à rééduquer leur langage, en collaboration avec l’hôpital Pellegrin à Bordeaux. Et si un jour il parvient à créer une interface cerveau-ordinateur permettant de piloter complètement un jeu vidéo sans les mains, juste par l’activité cérébrale, la boucle sera bouclée…
Laure Blancard
Crédit photo image en une : Inria / Photo B. Fourrier