Formation continue : l’offre académique s’adapte
⏱ 6 minLes universités ont conscience de ce nouvel enjeu de la formation continue, et tentent de s’organiser, tant pour apporter des réponses aux besoins croissants des entreprises, que pour capter ces étudiants qui sont une nouvelle ressource.
« La formation continue à l’université, dans le domaine scientifique, était quelque chose de plutôt confidentiel jusque-là », reconnaît Gérard Biau, directeur de SCAI (Sorbonne Center for Artificial Intelligence), créé en juin 2019 à Sorbonne Université. « Dans nos domaines scientifiques, on l’évoquait assez peu, contrairement à d’autres secteurs comme la médecine, où il faut toujours se mettre à la page, se former aux nouveaux gestes médicaux, à l’actuariat, ou encore à la finance. Aujourd’hui, les données massives, le machine learning, l’intelligence artificielle (IA) bousculent cet état de fait : il y a clairement besoin de monter en puissance en termes de formation continue dans ces domaines de compétence. Et l’université doit se positionner dans le paysage face aux écoles d’ingénieurs qui s’adaptent plus vite et disposent d’un bon réseau avec les industriels. C’est une révolution pour nous, un défi aussi. En tout cas, la prise de conscience est bel et bien là : l’université sait qu’elle doit aller au-delà de la formation initiale et se tourner vers l’extérieur. »
Décloisonner l’université et démystifier l’IA
Pour y parvenir, il faut notamment décloisonner l’université. « Car les données concernent tous les secteurs d’activité, poursuit Gérard Biau. Il est impératif de décloisonner le système, tant pour la recherche que pour l’enseignement. C’est la raison pour laquelle SCAI a été structuré de façon horizontale, dans le but d’animer l’IA globalement sur l’université. Notre centre a vocation à faire de la recherche, mais également à être force de proposition pour la formation initiale et la formation continue en IA à Sorbonne Université. »
Prenons l’exemple de Sorbonne Université : quelle est son offre de formation continue ? Elle répond actuellement à trois types de demandes : des formations très pointues de quelques jours pour des spécialistes qui veulent monter en compétence, par exemple en deep learning (une dizaine de personnes concernées en 2019) ; des formations ciblées co-construites avec un industriel pour ses cadres ; des formations accélérées en IA, sur un an (98 heures à raison de 2 jours par mois avec des rappels en maths, en statistique, des cours et des TP d’informatique et de machine learning) pour permettre à des cadres de tous secteurs d’activités d’avoir un aperçu général, de comprendre de quoi on parle, comment faire évoluer leur service ou leur entreprise (une vingtaine de stagiaires en 2019, en général issus de groupes de tailles moyennes).
« Mise à part la montée en compétence, la finalité de ces formations continues est aussi de démystifier l’IA, fait remarquer Gérard Biau. On ressent une inquiétude chez beaucoup d’entreprises : elles sont déboussolées, elles sentent qu’elles doivent y aller mais ne savent pas comment ni pour quoi faire ! Notre rôle, en tant qu’universitaires, est de leur fournir un discours de vérité, au-delà des offres commerciales dont elles sont assaillies, de les ramener à leurs propres réalités selon leurs données et leurs problématiques pour qu’elles soient capables de se lancer dans des développements raisonnables par rapport à leur situation, qu’elles sachent comment le faire seules, ou si elles doivent embaucher des data scientists, et avec quels profils. L’objectif est de ne pas laisser passer le train, sans surinvestir non plus. » De manière générale, selon lui, ce besoin de mise à jour des connaissances en IA est l’arbre qui cache la forêt de la formation continue.
Ouvrir les formations à un public plus large
« La formation continue est un réel enjeu sociétal », renchérit Avner Bar-Hen, professeur titulaire de la chaire Statistique et données massives au Cnam (Conservatoire national des arts et métiers), bien placé en tant qu’établissement d’enseignement supérieur dédié à la formation professionnelle tout au long de la vie. Le Cnam propose une offre spécifique, par module, indépendants, avec des cours en journée, le soir, le samedi (beaucoup d’auditeurs comme on les appelle choisissent le Cnam car ils ne peuvent pas travailler sans un professeur) mais aussi à distance (via des Mooc, voir l’article 1 de ce dossier “L’autoformation en data science par les Mooc”) et désormais également en alternance. Il existe également une offre réservée aux entreprises. Les cours sont assurés par des enseignants-chercheurs qui sont souvent passés par le monde de l’entreprise et des professionnels agréés.
Connaître le public du Cnam, et son évolution, pourrait permettre de prendre le pouls en matière de formation continue en data science. « En fait, c’est un public très hétérogène, et il nous est difficile de savoir d’où viennent les auditeurs,avoue Avner Bar-Hen. Ils se forment en général en dehors de leur temps de travail (80 % sont en poste) et n’ont pas forcément envie de parler de leur vie professionnelle. En tout cas, côté employabilité, ces personnes en évolution de carrière ou en reconversion sont très demandées du fait de leur expérience en entreprise, on est même submergés d’offres d’emploi et de stages. »
Parmi les tendances qu’il note dans son domaine : des profils d’auditeurs issus des sciences humaines qui arrivent dans le champ de la donnée par exemple pour suivre le master Medas (Mégadonnées et analyse sociale) créé en 2015 pour devenir data analyst. Un constat partagé (voir encadré).
[vc_row][vc_column][vc_cta h2= » »]
Un philosophe data analyst
« Mon diplôme de philosophie en poche, je pensais m’orienter vers l’enseignement mais, faute d’emploi, je suis entré dans une entreprise de téléachat dans laquelle je suis progressivement devenu responsable des ventes, explique ce quadragénaire. Après treize ans de vie professionnelle, nous avons subi un plan social. J’aimais l’aspect analyse et l’informatique auxquels je m’étais progressivement confrontés. Un data analyst de l’entreprise m’a convaincu que j’avais le profil pour son travail… J’ai sauté le pas, en profitant de l’enveloppe formation proposée. » Il postule pour le diplôme universitaire (DU) Analyste Big data de Paris Descartes. Il est recalé, mais, compte tenu de son expérience professionnelle, on lui recommande de postuler au DU Dataviz. Avec succès ! II est un des huit élèves à suivre ce programme de 150 heures sur six mois, dispensé à l’IUT de l’université, et réservé à la formation continue. Puisqu’il a la chance d’être libéré de ses contraintes professionnelles, en parallèle, il en profite pour faire le Certificat data analyst de l’ENSAI-ENSAE. Il s’initie aux logiciels R, Javascript, aux outils comme Tableau, aux applications comme R Shiny, etc. « Je ne comprends pas particulièrement vite, estime-t-il, mais je suis tenace. C’est l’envie qui compte. C’est beaucoup de travail personnel, mais tout le monde peut y arriver ! Les enseignants sont de très haut niveau et vulgarisent très bien. Le but n’est pas de nous apprendre à faire des démonstrations mathématiques mais de bien comprendre le raisonnement, les concepts en jeu. » Ces deux formations validées, il enchaîne finalement avec le DU Analyst Big data de Paris-Descartes, qu’il finance lui-même cette fois. Pour un coût de 3 000 euros, bien loin du tarif des écoles d’ingénieurs, il décroche un diplôme de niveau licence, en même temps qu’il trouve un emploi de data analyst en CDI. Une reconversion réussie !
[/vc_cta][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]
Créer des formations en alternance
Une autre tendance apparaît au Cnam et dans les universités : la formation en alternance, comme en proposent déjà les écoles d’ingénieurs. Les demandes progressent, même si, tous masters confondus, cela reste encore marginal. « Nous avons ainsi créé une formation en alternance d’ingénieur Big data et intelligence artificielle basée à Niort, précise Avner Bar-Hen. Nous mettrons bientôt en place un certificat en IA et nous réfléchissons, comme le souhaite le gouvernement, à développer des formations niveau Bac ou Bac + 1 autour des métiers de la data science, plutôt du côté informatique que statistiques. Nous initions également des formations en entreprises en situation de travail comme le prévoit la loi Avenir professionnel, adoptée en août 2018. »
Cette évolution vers des Actions de formation en situation de travail (Afest) repose sur une formalisation de l’apprentissage au travail, en tant qu’action de formation au même titre qu’un stage ou une formation à distance, selon des modalités qui restent encore largement à inventer. Elle a été expérimentée dans cinquante entreprises de tous les secteurs, et pourrait être articulée entre formations présentielles ou à distance. Pour l’heure, dans ce cadre, le Cnam propose des formations pour les chargés ou responsables de formation et une offre d’accompagnement à la mise en place de l’Afest dans les entreprises. La transformation des compétences dans le domaine du numérique est un des champs visés pour ces nouvelles offres de formation.
Trouver de nouveaux modèles économiques
Certaines de ces évolutions d’offres de formation, que ce soit la formation continue à destination des entreprises ou la création et le suivi de Mooc, imposent au secteur académique de trouver de nouveaux modèles économiques : « Pour l’instant, les cours en formation continue sont comptabilisés en cours complémentaires, et non dans le temps de service des enseignants, relève Gérard Biau. Le bon modèle est encore à inventer. » C’est un peu le même problème pour les Mooc, poursuit Avner Bar-Hen : « Peu d’établissements ont réfléchi au modèle économique des Mooc avec forum d’échange entre élèves et professeurs ce qui suppose un enseignement synchronisé et un investissement conséquent de ces derniers, mais garantit aussi la qualité de l’enseignement. Cela en limite assurément la diffusion. »
[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_cta h2= » »]
Se confronter aux enjeux de la recherche au Collège de France
Depuis janvier 2018, Stéphane Mallat, professeur d’informatique à l’ENS, est titulaire de la chaire de Sciences des données, un cours particulièrement suivi au Collège de France. « Mon cours réunit plus de 300 personnes dont un certain nombre de data scientists qui viennent découvrir ou approfondir leurs connaissances sur l’apprentissage ou les réseaux de neurones convolutifs, explique-t-il. Ils viennent se former pour pouvoir travailler sur des problèmes plus pointus ou pour mieux comprendre les enjeux de la recherche en data science. Les cours sont également disponibles en ligne, téléchargés des milliers de fois. Et outre mes cours, chacun peut se mesurer à ses pairs sur une quinzaine de problèmes industriels via notre plateforme Challenge data. Plus de 2 500 personnes y participent. »
[/vc_cta][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]
Isabelle Bellin
[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]