Quand l’IA améliore la prévision météo
⏱ 3 minUn programme de deep learning développé par DeepMind va améliorer la prévision immédiate d’évènements pluvieux pour Met Office, la météo britannique. Une avancée pratique qui illustre l’apport grandissant de l’IA dans la prévision météorologique.
« Fort risque de pluie d’ici 20 minutes, le match pourrait être interrompu. » Les aficionados de Roland Garros ou de la F1 sont habitués à la prévision météo immédiate, qui consiste à prévoir à très court terme (moins de deux heures) la survenue d’épisodes météo intenses. C’est sur ce créneau bien précis que DeepMind vient d’apporter une avancée significative. La filiale d’Alphabet (par ailleurs détenteur de Google), qui s’est déjà fait remarquer avec son AlphaFold qui « replie les protéines », un problème majeur de la biologie moléculaire, a cette fois développé un outil de deep learning baptisé DGMR capable de prédire la probabilité de pluie imminente à partir des images radar du ciel avec une meilleure fiabilité que les modèles de l’état de l’art. La performance, publiée1 dans Nature, a été validée par des experts de Met Office, le service météo britannique.
Historiquement, la prédiction immédiate s’appuyait presque exclusivement sur des analystes humains qui exploitaient des données radar pour prédire la course des nuages et leur évolution. Depuis une vingtaine d’années, des méthodes dites « d’advection » basées sur des modèles atmosphériques, sont venues compléter cette expertise. Ce type de modèle construit sa prédiction sur une translation des images radar en 2D des nuages, en fonction des données de direction et force des vents. « Malgré tout, cette méthode reste limitée car les images 2D ne permettent pas toujours d’extrapoler correctement l’évolution des nuages en 3D. La prévision pêche notamment sur l’intensité des précipitations », précise Vincent-Henri Peuch, directeur du service de surveillance de l’atmosphère au Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF en anglais).
DES GAN QUI FONT LA PLUIE ET LE BEAU TEMPS
Pour pallier ce problème, le modèle DGMR de DeepMind a été entraîné sur une grande quantité d’images radar issues de la météo britannique en 2017 et 2018, puis exploité en mode Generative Adversarial Network (GAN). Il s’agit de cette technologie rendue fameuse pour sa capacité à produire des deepfakes, qui excelle par exemple à générer la suite d’une séquence vidéo à partir des images précédentes. Les prévisions proposées par le GAN ont été comparées aux données météo réelles pour l’année 2019, ainsi qu’à d’autres modèles prédictifs relevant de l’état de l’art, dont l’advection et un autre programme de deep learning. Le modèle de DeepMind a été classé premier en termes d’utilité et de de précision dans 89 % des cas par un panel de 50 prévisionnistes météorologiques. « Ce résultat n’est pas conceptuellement révolutionnaire car de nombreux modèles d’IA ont été proposés récemment pour enrichir la prévision immédiate. Mais c’est un bon exemple d’amélioration opérationnelle développée avec un service météo national, là où beaucoup de programmes d’IA, prometteurs en théorie, ne trouvent pas vraiment d’application concrète », salue Vincent-Henri Peuch.
Tout n’est pas non plus parfait. « La prédiction de précipitations intenses à des échéances lointaines reste difficile pour toutes les approches », écrivent les auteurs de la publication. Il n’empêche : ces travaux illustrent la progression du deep learning dans tous les secteurs de la prévision météorologique. « En dehors de la prévision à très court terme, elle va aussi faire progresser les prévisions à court et moyen termes, entre un et dix jour », estime Vincent-Henri Peuch. Ce type de prévision à plus long terme s’appuie sur des modèles terrestres et climatiques multi-phénomènes beaucoup plus complexes, prenant en compte des données radars mais aussi satellitaires, des mesures au sol, etc. Si l’apprentissage automatique ne prétend pas concurrencer pour l’instant l’efficacité de ces modèles numériques ultra-complexes, il peut apporter son concours ici et là.
LE MACHINE LEARNING SOULAGE LES MODÈLES NUMÉRIQUES
« Des algorithmes de machine learning peuvent par exemple aider à trier les images satellites et sélectionner les plus exploitables ou significatives par rapport aux phénomènes à anticiper. Ils peuvent également prendre le relais des modèles physiques sur des calculs particuliers, comme le rayonnement solaire. Lorsque la substitution est possible, elle induit des économies notables de puissance de calcul. D’autres, enfin, permettent d’affiner le maillage des prédictions dans une logique de post-processing », explique Vincent-Henri Peuch. Sur ce dernier point, une publication2 de la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM) en 2020 présente par exemple un modèle de prévision de la pollution de l’air au Royaume-Uni obtenu avec une résolution très fine d’un kilomètre carré. Cette cartographie, présentée comme la plus précise à ce jour, a été obtenue en croisant grâce à un modèle de machine learning des données satellitaires météorologiques avec les mesures de polluants au sol, plus traditionnellement utilisées en prévision de la pollution de l’air. « Grâce à l’IA, les prévisions météorologiques dans leur ensemble devraient gagner un ordre de grandeur, en rapidité et en précision d’ici dix ans, ce qui revient à nous faire gagner une génération et demie de supercalculateurs », conclut Vincent-Henri Peuch.
Hugo Leroux
1. Suman Ravuri et al. Skilful precipitation nowcasting using deep generative models of radar. Nature, 2021. doi.org
2. Rochelle Schneider et al. A Satellite-Based Spatio-Temporal Machine Learning Model to Reconstruct Daily PM2.5 Concentrations across Great Britain. Remote Sensing, 2020. doi.org