L’IA au chevet des séismes et tsunamis
⏱ 6 minÀ défaut d’être capables de les prédire, les sismologues ne cessent d’améliorer leur compréhension des tremblements de terre. Dans la période récente, ils s’appuient sur l’intelligence artificielle, notamment pour caractériser précocement les séismes et mieux prédire les tsunamis.
La catastrophe qui a endeuillé en février la Turquie et la Syrie nous le rappelle tragiquement : malgré toutes les recherches menées sur le sujet, les tremblements de terre demeurent imprévisibles. Les plus dramatiques résultent de l’accumulation de tension entre deux plaques tectoniques qui se bousculent. Le récent séisme de magnitude 7,8 sur l’échelle de Richter résulte du déplacement vers le nord de la plaque d’Arabie qui « avance sur la Turquie », expliquait à l’AFP le sismologue Roger Musson, du British Geological Survey. La tension était devenue trop forte le 6 février 2023, et cette plaque a brusquement avancé…
Si les sismologues ne sont pas capables de prédire quand et où se produira un séisme, ils savent quantifier les probabilités de séismes dans une région sur une période donnée. En Californie, la plaque pacifique se frotte à la plaque nord-américaine. Elles « coulissent » le long de la faille de San Andreas, qui parcourt la Californie sur 1 200 kilomètres… mais par à-coups. De temps à autre, la tension accumulée se libère, et la terre tremble. Une étude publiée par le U.S. Geological Survey estimait en 2013 à 7% la probabilité d’un “big one”, un séisme d’une magnitude égale ou supérieure à 8, au cours des trente années suivantes, quelque part sur la faille de San Andreas. La même étude avançait qu’un séisme de magnitude 6,7 ou plus se produisait en moyenne tous les 6,7 ans en Californie.
Déterminer au plus vite l’épicentre et la magnitude d’un séisme
Lors d’un séisme, des ondes sismiques se propagent à partir du lieu de la rupture : l’épicentre. Les sismologues captent ces vibrations à l’aide de milliers de sismographes installés tout autour de la planète et plus densément dans les zones à forte sismicité. Sur les sismogrammes ainsi obtenus, ils distinguent notamment les ondes primaires (P) ou ondes de compression, qui sont les premières enregistrées (elles se propagent à environ 6 km/s de manière longitudinale), ainsi que les ondes secondaires (S), ou ondes de cisaillement, qui se déplacent un peu plus lentement (aux alentours de 4 km/s), de manière transversale. C’est en étudiant ces deux types d’ondes qu’ils localisent l’épicentre du séisme et évaluent sa magnitude.
Les sismologues cherchent à détecter au plus vite un séisme, lorsqu’il se produit, et à le caractériser avec la plus grande précision possible, afin de fournir rapidement des informations utiles aux autorités qui organisent les secours. Et l’IA peut y aider. Des chercheurs de l’université de Stanford ont ainsi mis au point un outil de détection des séismes baptisé Earthquake Transformer qui a fait l’objet en 2020 d’une publication dans la revue Nature1. Ils ont réalisé un réseau de neurones convolutif un peu particulier, qu’ils ont entraîné à l’aide de données enregistrées durant cinq semaines autour de séismes qui s’étaient produits à Tottori, au Japon, en 2000. « Notre objectif était de mettre en place un mécanisme « d’attention hiérarchique » pour identifier les signaux des ondes sismiques que nous avons plus de mal à identifier sans l’intelligence artificielle, précise Grégory Beroza, l’un des chercheurs de l’université de Stanford ayant travaillé sur ce projet. En utilisant ce procédé, nous facilitons le processus d’apprentissage et le modèle est plus à même d’identifier l’épicentre d’un séisme en se basant sur les informations d’un minimum de capteurs. » Les chercheurs ont montré qu’il était possible, grâce à Earthquake Transformer, de mieux localiser les épicentres qu’avec les anciennes techniques, et plus rapidement. La précision de ces informations permettrait aux secours les plus proches d’intervenir en conséquence.
Prédire l’arrivée et la puissance d’un tsunami
Déterminer rapidement et d’une manière fiable l’épicentre et la magnitude d’un séisme permet le cas échéant de prédire l’arrivée du tsunami qu’il va provoquer. Ces séries de vagues géantes, mesurant jusqu’à plusieurs dizaines de mètres, sont la conséquence directe de certains séismes de forte magnitude se produisant en mer. Selon la localisation de l’épicentre, ces vagues atteignent la côte quelques minutes à plusieurs heures après la secousse sismique.
Les sismologues savent prédire l’arrivée d’un tsunami… s’ils disposent de données fiables sur la localisation de l’épicentre et la magnitude du séisme. En 2011, au Tōhoku, sur la côte pacifique japonaise, un tremblement de terre de magnitude 9,1 a engendré un tsunami qui, certes, était prévu par les sismologues, mais dont la force avait été sous-estimée. Sur la base d’une évaluation de la magnitude à « seulement” 8,1 la population et les secours avaient été prévenus de l’arrivée de vagues hautes de quelques mètres. Hélas, ce sont des vagues de 15 à 30 mètres qui ont déferlé sur une bonne partie de la côte.
Des signaux qui se propagent à la vitesse de la lumière
Pour éviter que ce genre d’erreur puisse se reproduire, une équipe de chercheurs basée à l’université Côte d’Azur a travaillé pour tenter d’estimer de manière quasi instantanée et fiable la magnitude d’un séisme. Leurs travaux ont été publiés en 2022 dans la revue Nature2. Comme nous l’explique Quentin Bletery, géophysicien au laboratoire Géoazur de l’IRD (Institut de recherche pour le développement), « au lieu d’avoir pris en compte les ondes P ou S, nous avons décidé de nous intéresser aux Pegs ». Ces Pegs (Prompt Elasto-Gravity Signals) sont des signaux gravitationnels qui se propagent depuis l’épicentre d’un séisme à la vitesse de la lumière, soit 50 000 fois plus rapidement que les ondes P. Ces perturbations du champ gravitationnel terrestre résultent de l’énorme déplacement de masses provoqué par un séisme de forte magnitude.
À l’heure actuelle, les sismographes ne détectent ces Pegs que lors de tremblements de terre de magnitude 8,3 ou plus. « Les tsunamis sont des phénomènes qui se produisent généralement si la magnitude du séisme est supérieure à 8, explique le chercheur. Après avoir remarqué cela, exploiter les caractéristiques des Pegs pour obtenir rapidement la magnitude d’un séisme grâce à l’intelligence artificielle nous semblait pertinent ».
Avec son équipe, Quentin Bletery a mis au point un modèle de deep learning baptisé Pre-Quake qu’ils ont entraîné grâce à une base de données rassemblant des centaines de milliers de signaux Pegs associés à la magnitude du séisme correspondant. Le modèle a ensuite été testé et a estimé la magnitude de séismes passés avec une très faible marge d’erreur. Grâce à ce résultat, il serait possible de connaître la magnitude d’un séisme pendant qu’il se déroule, ce qui permettrait aux sismologues de prédire d’une manière plus fiable l’intensité et la localisation d’un éventuel tsunami et donc de prévenir les autorités en conséquence. Pour Quentin Bletery, le modèle est encore perfectible. Dans le cadre du projet EARLI financé par le conseil européen de la recherche, il continue de travailler pour que son modèle puisse interpréter les Pegs pour des séismes de magnitude comprise en 7 et 8,3.
Anticiper l’arrivée prochaine d’un séisme, une utopie ?
Les tentatives pour mettre au point une méthode de prédiction des séismes ont jusqu’à présent été vaines, mais certaines spécialistes y travaillent toujours. C’est le cas de Paul Johnson, un sismologue du Laboratoire national de Los Alamos (Nouveau Mexique) du DOE, le département de l’Énergie des États-Unis. En 2020, son équipe a mis au point un modèle de deep learning afin de tenter de mieux comprendre les frottements des plaques tectoniques le long d’une faille dans le cadre de “séismes lents”, des tremblements de terre se produisant lorsque l’énergie produite par la friction au niveau d’une faille se dégage lentement, durant des jours, voire des mois. En entraînant un réseau de neurones convolutif à l’aide de données enregistrées avant et après des séismes lents, le modèle obtenu était capable de reconnaître des signes annonciateurs et donc de déduire l’arrivée prochaine de séismes lents dans une zone précise.
Depuis, Paul Johnson s’intéresse également à la prédiction des séismes rapides, ceux qui provoquent des catastrophes. En 2022, il a publié3 les résultats de ses derniers travaux dans Geophysical Research Letters. « Nous avons repris notre réseau de neurones convolutif que nous avions développé en 2020 pour les séismes lents et nous l’avons utilisé pour mettre au point un transformeur qui nous a permis de prédire les frictions le long des failles », précise Paul Johnson. Ces travaux reposent sur des données issues de “séismes de laboratoire”, des expériences de cisaillement simulant à petite échelle ce qui se passe au contact de deux plaques. Dans un futur proche, Paul Johnson espère pouvoir tester son modèle sur le terrain. Et… peut-être, prédire les caractéristiques d’un séisme quelques minutes voire quelques heures avant son apparition.
Zacharie Tazrout
1. S. Mostafa Mousavi, Gregory C. Beroza et al. Earthquake transformer-an attentive deep-learning model for simultaneous earthquake detection and phase picking, Nature, 2020, doi.org
2. Andrea Licciardi, Quentin Bletery et al. Instantaneous tracking of earthquake growth with elastogravity signals, Nature, 2022, doi.org
3. Kun Wang, Christopher W. Johnson, Kane C. Bennett, Paul A. Johnson. Predicting Future Laboratory Fault Friction Through Deep Learning Transformer Models. 2022, doi.org