L’autoformation : une solution ?
⏱ 5 minLes mooc ont bien des atouts même s’ils ne sont pas la panacée. En sciences des données, ce nouveau mode de diffusion de la connaissance est adapté aux besoins des étudiants, à la formation continue voire à la culture générale de tout un chacun. L’offre n’a pas fini d’évoluer et c’est tant mieux.
Mooc ? Avec cette drôle d’orthographe qui fait hésiter dans la prononciation française, les mooc (Massive on-line open courses, prononcer « mouc ») ont déferlé sur la Toile à partir de 2012 après une bonne dizaine d’années de gestation dans les universités américaines, MIT (Massachusetts Institute of Technology) en tête. Ces cours en ligne ouverts à tous, en général gratuits, étaient d’abord destinés aux étudiants. S’ils restent bel et bien les principaux utilisateurs, le public concerné s’élargit sans cesse avec une offre accrue, dans tous les domaines, y compris en sciences de données.
Acquérir une compétence plutôt qu’un diplôme
» Je trouve cela très valorisant qu’un étudiant se soit formé à Python ou Spark grâce à un mooc, affirme Gérard Biau, professeur à l’UPMC (Université Pierre et Marie Curie). Je leur conseille d’ailleurs vivement, lorsqu’ils en ont besoin, de compléter les cours de l’université « . » Nous proposons des liens vers des mooc dans tous nos cours pour approfondir certains points ou se remettre à niveau « , poursuit Stephan Clémençon, enseignant-chercheur à Télécom ParisTech. » Les sciences des données évoluent trop vite. Les étudiants ont inévitablement besoin de connaissances complémentaires et le mooc est particulièrement adapté pour les acquérir « , renchérit Avner Bar-Hen, professeur au Cnam (Conservatoire national des arts et métiers), organisme réputé en formation à distance.
Un des principaux intérêts de ces formations en ligne est de pouvoir les faire seul dans son coin, 24h/24, « à la demande », le mode le plus fréquent. Cela permet également une première approche d’un sujet avant de s’inscrire à une formation, voire de reprendre des études. La plupart des mooc en sciences des données sont en anglais et très spécialisés. Les étudiants sont fans de ceux de Stanford, Caltech, Berkeley ou du MIT. Ils constituent aussi le public principal de l’IMT (Institut Mines-Télécom), dont l’offre, surtout francophone, est fournie (340 000 inscrits et plus de 25 mooc) y compris sur la transition numérique, l’informatique ou la programmation. Selon leur bilan, presque la moitié des utilisateurs sont bac+5 et 17 % bac+3. » Francophones ou anglophones, ces mooc sont trop standards et vulgarisés pour nos étudiants, affirme Nicolas Vayatis, responsable du master MVA de l’ENS Paris-Saclay. Nous avons l’ambition de leur apporter une formation très pointue, proche de l’actualité de la recherche. «
Chacun cherche son mooc
» Si les mooc sont souvent trop simples pour ceux qui cherchent un approfondissement, ils sont aussi trop complexes pour les néophytes, ajoute Marc Duranton, spécialiste de deep learning au CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables). Pour ceux-là, il manque des vidéos d’information plus que de formation, de 20 à 30 mn. Un format intermédiaire entre la vidéo de 5 mn, qui peut être une excellente introduction pour les curieux, et le cours du Collège de France de plusieurs heures comme ceux sur l’apprentissage profond de Yann Le Cun en 2015/2016. «
» Or, il ne faut pas négliger l’enseignement de masse en sciences de données, confirme Avner Bar-Hen, qui a fait le premier mooc de statistique en français en 2014 (abordable sans prérequis, suivi par 15 000 personnes sur 2 sessions). Les citoyens en ont besoin pour comprendre les impacts du numérique sur leur quotidien et les entreprises pour faire face aux évolutions de leurs organisations. «
» Est-ce la mission de l’université de proposer une formation non diplômante adaptée au plus grand nombre ? » Avner Bar-Hen, professeur au Cnam
En attendant, la cible étudiante reste bel et bien la plus importante. Chaque école adapte son offre à ses besoins, à l’image de Télécom ParisTech qui en a fait un examen de passage pour s’inscrire à son Mastère Spécialisé (MS) Big Data et au Certificat d’Études Spécialisée Data Scientist : » pour intégrer ces cursus, les étudiants doivent réussir notre mooc Fondamentaux pour le big data, confirme Stephan Clémençon, responsable du MS Big Data. Cela nous assure qu’ils maitrisent le formalisme nécessaire en maths et informatique. «
À l’image de celui-ci, beaucoup de mooc proposés en français sont « synchronisés » : ce sont des cours, en général sur 4 à 6 semaines avec une forte interactivité dans le cadre d’un forum d’échanges. C’est le cas des mooc disponibles gratuitement depuis 2014 sur la plateforme FUN (France université numérique) créée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. FUN offre plus de 250 cours (25 en anglais) dont 41 en informatique – beaucoup sont réalisés par Inria, un des 3 premiers acteurs clés de FUN – et 24 cours en mathématiques et statistiques. Fondamentaux du langage de programmation Python, introduction à la statistique avec R, bases de données relationnelles… certains y trouveront leur bonheur.
Vers des mooc diplômants
Pour en tirer profit, il faut bien le choisir : » Un mooc doit s’intégrer dans un projet personnel « , précise Avner Bar-Hen. Dans l’idéal, c’est un cours à part entière, inclus dans un enseignement. Il doit respecter une cohérence et un objectif pédagogique, comporter différentes modalités d’apprentissage et d’évaluation telles que des vidéos, des quizz, des évaluations par les pairs… Les États-Unis, précurseurs, ont une longueur d’avance en termes d’offre : on trouve par exemple une bonne centaine de cours en analyse des données, apprentissage automatique, probabilités et statistiques sur Coursera, une plateforme de référence créée par les universités de Stanford, du Michigan, de Princeton et de Pennsylvanie (Centrale Paris, l’ENS, Polytechnique et d’autres écoles françaises sont partenaires depuis 2013).
La tendance, là-bas, est désormais aux certificats spécialisés développés avec des universités ou des entreprises pour leurs propres besoins. Une façon d’adapter l’offre au plus près du domaine de compétence recherché… et de financer les mooc. Car cette reconnaissance formalisée est de plus en plus souvent payante. Un cran au-dessus, les plateformes américaines Coursera, Udacity ou EdX proposent déjà des nanodegree, micromaster ou iMBA, premiers pas vers des mooc diplômants à part entière. OpenClassrooms, plateforme commerciale française, s’oriente aussi dans cette voie.
» Pour les étudiants ou les entreprises, le mooc francophone est un oxymore. Il est fondamental d’apprendre un domaine avec les bons mots clés. » Alexandre d’Aspremont, professeur à l’ENS Paris
Ne risque-t-on pas d’aller vers des mooc à deux vitesses ? » Même si les universités américaines y mettent les moyens, le paysage ne s’est pas développé aussi vite que prévu « , fait remarquer Alexandre d’Aspremont, professeur à l’ENS Paris. Car faire un mooc prend beaucoup de temps et coûte cher. Et la qualité n’est pas garantie : malgré leurs stars scientifiques, certains prestigieux mooc américains sont loin d’être à la hauteur. Notamment en machine learning où il n’y a pas encore de mooc de référence. Ou ceux qui sont bien formatés sont payants, sans qu’il n’y ait forcément de relation de cause à effet. Quoiqu’il en soit, l’offre francophone apparait complémentaire. D’abord parce que la façon de traiter les sujets n’est pas la même, avec un formalisme bien français alors que les mooc anglophones privilégient plutôt le côté pratique. Ensuite dans le but de toucher un public francophone, comme en Afrique.
Avner Bar-Hen recommande néanmoins l’expérience : » c’est très enrichissant du point de vue pédagogique. Comme la formation continue de manière générale : ce public est beaucoup plus intéressé, impliqué, motivé. Les échanges sur le forum entre étudiants sont très riches, d’une bienveillance et d’une dynamique collaborative incroyable. C’est un bel espace d’expérimentation pour de nouveaux modes d’apprentissage. » » Et cela va probablement devenir un format indispensable, en tout cas pour certains cours, pour gérer les effectifs croissants en sciences des données « , complète Alexandre d’Aspremont. Le mooc a de l’avenir d’une façon ou d’une autre.
Isabelle Bellin
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