Mieux alerter le prescripteur sur les interactions médicamenteuses
⏱ 4 minDes chercheurs de la société Vidal vont tester les capacités du Health Data Hub en construction en étudiant statistiquement les conséquences des interactions médicamenteuses sur les patients concernés. Cela afin de fournir au moment de la prescription de meilleures alertes, reposant sur des données cliniques.
La France va se doter d’un portail d’accès universel aux données de santé, le Health Data Hub (HDH). Le chantier est ouvert, tout reste à faire [lire le 1er article de ce dossier « La France se dote d’une plateforme pour la recherche » NDLR]. Pour sonder le terrain, un appel à projets a été lancé en janvier 2019. Un jury d’experts en a sélectionné 10 en avril, parmi les 189 dossiers déposés. Ces dix lauréats ont été retenus « pour leur maturité, leur caractère innovant en matière d’exploitation des données, leur intérêt public, les bénéfices potentiels attendus et leur contribution au catalogue des données du Hub ».
Ces projets constituent en quelque sorte un banc d’essai sur lequel seront testés les concepts fondateurs du HDH, les procédures qu’il veut mettre en place, et les premiers outils dont il se dotera. Leurs objectifs sont variés et représentatifs de l’éventail des possibilités offertes par la science des données aux questions de santé publique. Il s’agit d’identifier « les meilleurs schémas thérapeutiques », d’améliorer « les parcours de soin » ou « la surveillance sanitaire », de prédire « les trajectoires individuelles », d’évaluer, de quantifier… dans des contextes variés : cancers, maladies cardio-vasculaires, neurodégénératives…
Focus sur un des lauréats
Le projet Pimpon (Priorisation des interactions médicamenteuses par leur pondération clinique) figure parmi ces lauréats. Il se distingue tout d’abord par le fait qu’il est l’un des trois lauréats, sur dix, portés par une entreprise privée, le groupe Vidal. Il est de plus original, en étant l’un des rares qui ne se focalise pas sur une pathologie particulière. Pimpon s’intéresse aux conséquences parfois malheureuses d’une prise de décision qui émaille le quotidien du médecin : la prescription de médicaments. On déplore au moins 10 000 décès en France résultant de mauvais usages des médicaments, toutes causes confondues : mauvais dosage, mauvaise prise, non-respect de la prescription… mais aussi interaction entre médicaments.
« Le groupe Vidal est surtout connu du grand public pour le Dictionnaire Vidal des médicaments, explique Jean-François Forget, son directeur médical et le porteur du projet Pimpon, mais depuis une vingtaine d’années, notre activité s’est élargie à d’autres outils d’information sur les produits de santé, la sécurisation de la prescription, plus généralement l’amélioration de la prise en charge thérapeutique. Nous commercialisons entre autres des outils qui, en s’appuyant sur nos bases de données, apportent une aide à la décision aux médecins (de ville ou hospitaliers) et pharmaciens au moment de prescrire et de délivrer des médicaments. »
Répertorier des liens de causalité
Grâce à ces outils, le médecin, au moment de prescrire des médicaments, est alerté sur leurs effets indésirables, leurs contre-indications, le cas échéant sur un surdosage… ou sur d’éventuels problèmes d’interaction médicamenteuse. « L’objectif du projet Pimpon, précise Jean-François Forget, est d’améliorer la pertinence des alertes dans les logiciels d’aide à la prescription (LAP) pour assurer leur meilleur impact sur les pratiques. Pour cela, l’idée est de mobiliser les données du Health Data Hub pour estimer la prévalence réelle des complications liées aux interactions médicamenteuses, afin d’identifier des alertes nécessitant une mise en exergue particulière du fait de leur impact. »
En l’occurrence, l’information nécessaire se trouve dans l’actuel Système national des données de santé (SNDS), créé en 2017, ce trésor national autour duquel sera édifié le HDH. « On va chercher dans les données du SNDS les patients exposés à une interaction médicamenteuse et suivre leur devenir sur six mois, explique Jean-François Forget. On s’intéressera notamment aux hospitalisations et on cherchera à mettre en relation les causes de ces hospitalisations avec les effets connus des interactions médicamenteuses. Par exemple, si un patient s’est vu prescrire deux médicaments dont on sait que leur interaction peut provoquer une somnolence ou un trouble de l’équilibre et donc un risque de chute, on cherchera si ce patient a été par la suite hospitalisé pour un traumatisme ou une fracture. Ou bien, si une interaction provoque des saignements, on cherchera d’éventuelles hospitalisations pour hémorragie. »
La raison d’être du HDH est de faciliter l’accès aux données de santé pour les équipes de recherche, publiques ou privées, tout en garantissant leur confidentialité. Les détails de mise en œuvre de cette ambition, au plan administratif comme technique, sont en cours de conception. Les dix projets sélectionnés ont vocation à essuyer les plâtres… « Ces études statistiques seront réalisées selon nos besoins, mais sur des moyens informatiques mis à disposition par le HDH, précise Jean-François Forget. Nous ne pourrons jamais extraire directement les données, seulement les résultats. Les procédures qui encadreront cela seront en rodage. J’ai l’impression que le HDH apprendra à répondre à nos demandes, en même temps que nous apprendrons à nous en servir. »
Alerter les praticiens
Par contraste avec les connaissances disponibles sur les interactions médicamenteuses, quelque peu « théoriques », Vidal espère obtenir au final des informations de nature statistique, quantifiées à partir des données qui racontent la vraie vie de la population réelle. Ce qui permettra de délivrer au praticien qui envisage de prescrire une association de médicaments réputée problématique une alerte très factuelle : « Vous êtes en train de prescrire une association médicamenteuse qui a provoqué des hospitalisations pour x avec une fréquence de y. »
« Si l’on parvient à mieux attirer l’attention des prescripteurs vers les alertes les plus pertinentes, espère Jean-François Forget, cela devrait permettre à terme d’obtenir une réduction de l’incidence des complications graves, fréquentes et prévisibles. » Les premiers résultats du projet Pimpon sont attendus avant la fin 2019.
Pierre Vandeginste