Les POC sont-elles toujours dans le coup ?
⏱ 3 minDestinée à démontrer la faisabilité d’une solution technique, la Proof of Concept, preuve de concept en français, est très utilisée dans l’industrie, y compris dans le domaine de la data science. Mais est-elle toujours pertinente ? Entretien avec Mathilde Mougeot, experte en sciences des données à l’ENSIIE (École Nationale Supérieure d’Informatique pour l’Industrie et l’Entreprise).
DAP : Selon vous, quelle est la principale difficulté à surmonter pour réussir sa POC ?
Mathilde Mougeot : Rappelons tout d’abord le but de toute POC : démontrer la faisabilité (ou non) d’une solution technique proposée pour résoudre un problème posé par un industriel…le tout en un minimum de temps, et à moindre coût. Pour y parvenir, on développe un code numérique à partir d’un jeu de données circonscrit qui aboutira en général à un démonstrateur. « Réussir sa POC », c’est avant tout bien définir en amont, avec l’industriel, la question posée qui est souvent très opérationnelle ; par exemple : » est-il possible de développer une méthode mathématique, et un algorithme associé, permettant de réaliser un diagnostic automatique de surconsommation d’un équipement industriel ? « . Bien délimiter la question de départ : là est la première difficulté… Car mieux vaut lancer deux POC avec deux questions précises, qu’une POC trop vague !
DAP : Pourriez-vous donner un exemple de POC trop vague ?
M.M. : Par exemple, répondre à la question » est-il possible de compter les pas d’un individu à partir des données d’un accéléromètre ? « . Cela peut être très difficile si l’on ne définit pas les conditions de marche dans lesquelles les signaux sont acquis. Un algorithme pourra être développé dans le cas d’un terrain plat… Mais, à partir des données acquises par l’accéléromètre, il est très probable que ce même algorithme ne fonctionnera pas pour détecter des pas dans un terrain accidenté et instable.
DAP : Les POC n’aboutissent-elles pas souvent à des résultats aléatoires en raison de données mal sélectionnées ?
M.M. : Les données sont évidemment fondamentales : elles constituent bel et bien le carburant d’une POC. En fonction de la composition de ce carburant, la POC apportera plus ou moins de valeur ajoutée, c’est le fameux Garbage In, Garbage Out… que l’on peut traduire par : » si les entrées d’un système sont mauvaises, les sorties le seront forcément aussi « . En tant que chercheurs statisticiens ou en science des données, nous avons un rôle important à jouer dans la caractérisation des données qui nous sont communiquées par l’industriel ! Pour cela, le chercheur doit donc non seulement, comme on l’a dit, bien comprendre la question, mais aussi les contraintes opérationnelles qui y sont liées, les différentes variables…. C’est aussi cela qui est difficile dans la réalisation d’une POC : ces allers-retours entre un environnement théorique de R&D où nous contrôlons à peu près tout… et un environnement industriel opérationnel très ouvert. Pour que les résultats soient de qualité, il faut que la sélection des données soit faite en accord entre le chercheur qui réalise la POC et les experts de l’entreprise.
DAP : On entend aussi dire qu’une POC n’apporte aucune garantie de passage en production… certains évoquent même des » POC éternels » qui ne débouchent sur rien au final.
M.M. : Si la solution proposée est trop complexe, effectivement le passage à l’échelle peut poser problème. Car il faut également prendre en compte les contraintes de production, afin que les POC ne perdent pas le contact avec la réalité terrain. De plus, c’est vrai, il y a souvent un temps de latence entre la fin d’une POC et le démarrage du projet, généralement pour des problèmes de financement et de décision humaine. Or quand on ne rebondit pas rapidement sur les résultats d’une POC, on crée un délai qui peut être néfaste à la suite du projet, et à la mise en place de la solution de façon opérationnelle.
DAP : Jugés plus opérationnels que les POC, certains semblent privilégier les Minimum Viable Products (MVP ou produit à fonctionnalité réduite), ces produits dotés des fonctionnalités minimales pour satisfaire les premiers clients, et générer des commentaires pour leur développement futur. Qu’en pensez-vous ?
M. M. : L’objectif d’une POC est bien de développer à terme une solution opérationnelle, c’est-à-dire qui fonctionne dans un environnement industriel. Cependant, elle peut aussi parfois conclure au fait qu’une étape complémentaire s’avère nécessaire. En général, une POC sera suivie d’un » démonstrateur » – concrètement, un logiciel permettant d’exécuter l’algorithme dans un environnement opérationnel donné installé sur un site pilote dédié avec des accès aux données et une IHM restreints. Car la POC ne vise pas à développer un produit coûte que coûte, mais plutôt à faire un bilan des solutions envisageables pour proposer une solution technique.