Valorisation des données : une question de stratégie
⏱ 4 minMieux vendre, mieux produire, mieux comprendre… telles sont les promesses des données dès lors qu’elles sont bien valorisées. Voici quelques pistes pour savoir comment s’y prendre : choisir la matière première à explorer, développer une culture interne du numérique et savoir bien s’entourer.
Les grandes questions que se posent les entreprises évoluent peu : comment cibler les clients et les prospects, découvrir et ouvrir de nouveaux marchés, améliorer la qualité des services, identifier des pannes, des fraudes, des attaques informatiques, anticiper des flux, des besoins d’approvisionnement, etc. « La science des données est avant tout un nouvel outil, un levier puissant qui rend les efforts bien plus efficaces, explique Cyril Véron qui anime l’équipe de consultants en intelligence artificielle du cabinet Wavestone. C’est incontournable aujourd’hui : chacun a intérêt à estimer le potentiel de ses données. »
Depuis quelques années, on constate une réelle prise de conscience dans l’industrie même si les bénéfices sont encore rarement tangibles. La valorisation des données a le pouvoir d’améliorer tant les processus que les organisations : maintenance prédictive, protection et amélioration de la gestion des systèmes informatiques, détection de fraudes… « Un algorithme malin peut détecter des anomalies qui permettent d’éviter des catastrophes », renchérit Jérôme Lacaille, responsable de l’équipe Algorithmes chez Safran, fabricant de moteurs d’avions.
Une feuille de route stratégique souple
Qui est concerné ? La question de l’exploitation des données relève de l’évidence pour les entreprises du numérique, nées dans les années 2000 : elles ont ça dans le sang ; les données sont tout simplement au cœur de leur modèle d’affaires. C’est une toute autre affaire pour les entreprises et les industries traditionnelles. Pour certaines comme Renault ou PSA, c’est stratégique : la transformation numérique est irrémédiable. « Chez les constructeurs automobiles, on estime que l’électronique embarquée représentait déjà 30% de la valeur ajoutée d’un véhicule en 2015, en complément de la part mécanique, leur métier historique, fait remarquer Cyril Véron. En 2020, ce sera sûrement 50 % ! »
Pour d’autres, c’est l’opportunité de nouveaux marchés, de nouveaux services hyper personnalisés qui prime, à l’image des moteurs de recommandation de Netflix ou Amazon. Ces mutations font même voler en éclat les frontières des activités : l’opérateur de télécom Orange devient une banque, l’éditeur de logiciel Google développe des voitures…
» Les efforts de valorisation des données ne seront jamais à perte : fermer une piste de recherche est aussi une avancée et dans tous les cas, ces développements permettent de faire monter le personnel en compétence et de travailler avec des acteurs autour de la science des données. » Cyril Véron (Wavestone)
Comment s’y prendre ? « Il n’y a pas de recette unique, souligne le consultant. Et la transformation peut être assez lourde. On recommande de ne pas seulement se comparer à ses concurrents mais également aux acteurs du numérique. La bonne question est : que font les GAFAMs 1 ? » Pour allouer les bons efforts aux bons endroits, la solution passe par une feuille de route stratégique. Mais ce cadrage doit rester souple, capable d’évolutions fréquentes. Il faut établir une liste de priorités selon les gains potentiels attendus en gardant à l’esprit que l’exercice est exploratoire et que certaines technologies se périment vite.
« Ensuite, il faut agir, se lancer, expérimenter, encourage Cyril Véron. Cela peut être fait rapidement et avec des budgets raisonnables. » De quoi estimer si le ciblage des clients sera amélioré de 1 %, 10 % ou 50 %, si l’anticipation des pannes peut être accrue d’1 h, d’une journée ou de 6 mois…
Des partenariats académiques
Il souligne aussi l’importance de se rapprocher du monde académique, d’apprendre à travailler avec les chercheurs, à leur exposer les problèmes, les mobiliser sur des sujets industriels, dialoguer, financer des thèses Cifre 2. Cela suppose d’avoir en interne des interlocuteurs ayant un certain niveau de culture du numérique, pour être capable de piloter des recherches et développements, analyser les résultats.
« Il faut que des data scientists en interne comprennent les méthodes et se les approprient, renchérit Francis Bach, chercheur à Inria et ENS Ulm. Sinon, ils ne pourront pas les faire vivre. » Ce mouvement semble bel et bien lancé : « depuis 2 ou 3 ans, tous les grands acteurs industriels s’y mettent, poursuit le chercheur. On est très sollicités, tant par les start-ups que par les grands groupes. Même les entreprises les moins technologiques tentent de tirer parti de l’apprentissage. Quant aux entreprises au fait des dernières techniques en data science, elles font appel à nous pour sélectionner les meilleurs algorithmes : notre vue d’ensemble des méthodes et notre capacité d’abstraction nous permettent de pointer des solutions qui ne sont pas naturelles dans leur domaine industriel. Par exemple d’utiliser pour des applications vidéos ou du traitement de la parole, un algorithme développé en biologie sur des séquences d’ADN. »
Ekimetrics, Quantmetry ou Wavestone, comme d’autres, font partie des acteurs dont le métier est d’aider les entreprises à formuler leurs problèmes puis de les accompagner, notamment au moyen d’analyses statistiques descriptives ou d’algorithmes prédictifs. « La clé du succès se joue dans la capacité à faire dialoguer étroitement des compétences différentes, résume Cyril Véron : un homme métier qui connait parfaitement le problème à résoudre ou le point à améliorer, un spécialiste des données (statisticien, data scientist) et un spécialiste du système informatique. »
Pour autant, même dans les entreprises qui exploitent déjà une partie de leurs données métier, on est bien loin d’une valorisation étendue aux autres services comme la finance ou la gestion des ressources humaines pour mieux identifier les potentiels des uns et des autres ou les besoins en termes de formation… Il y a de quoi faire ! Quoi qu’il en soit, ces perspectives encourageantes passent par une étape moins attrayante mais indispensable : un grand ménage dans les bases de données ! À suivre la semaine prochaine.
Isabelle BELLIN
Notes
1 GAFAMs
Géants du Web : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft en tête.
2 Cifre
Ce dispositif de « convention industrielle de formation par la recherche » permet aux entreprises de bénéficier d’une aide financière pour recruter de jeunes doctorants dont les projets de recherche sont menés en liaison avec un laboratoire extérieur.