Covid-19 : dépister et diagnostiquer par l’analyse des données
⏱ 5 minEssentielles pour comprendre et freiner la pandémie, les données jouent également un rôle primordial pour le dépistage et le diagnostic du Covid-19.
La fièvre étant l’un des symptômes du Covid-19, la détection de la température corporelle a logiquement sa place dans l’arsenal de dépistage. En Chine, on a même songé à dépister les fiévreux à distance, dans la foule. Des solutions faisant appel à des caméras infrarouge et à l’intelligence artificielle pour la détection des visages, développées notamment par Baidu et le spécialiste de la reconnaissance faciale Megvii, ont été déployées dans des gares et autres lieux publics. Des entreprises comme Kuang-Chi Technology et la start-up Rokid ont même intégré ce type de technologie dans des casques et lunettes de réalité augmentée, permettant à des policiers de contrôler en pleine rue, à distance et à la volée, la température frontale des passants.
Les objets connectés devraient également se montrer utiles dans un contexte de pandémie, en permettant à des algorithmes de détecter précocement des signes annonciateurs chez des personnes à risque ou susceptibles d’être contaminées. À Chicago, des chercheurs de l’université Northwestern et du Shirley Ryan AbilityLab développent un capteur connecté grand comme un timbre-poste, qui se colle sur la peau à la base du cou, capable de surveiller 24 heures sur 24 la température corporelle, le rythme cardiaque ainsi que la toux et les difficultés respiratoires. Ces données sont analysées en temps réel par un algorithme. Depuis la mi-avril, un prototype est testé sur 25 patients.
Orientation en ligne
Dès lors que la symptomatologie était – plus ou moins bien – connue de la population, et que l’inquiétude grandissait, on pouvait craindre des embouteillages dans les services d’urgence, et pour commencer au « 15 », le numéro d’appel du Samu (service d’aide médicale urgente). Début mai, Fabrice Denis, un oncologue et chercheur de l’université de Rouen, également expert reconnu en e-santé, conçoit une application d’orientation reposant sur un questionnaire en ligne, permettant aux personnes présentant un symptôme réel ou supposé d’évaluer la gravité de leur situation. Après avoir réalisé en quelques jours un prototype, il est contacté par l’Institut Pasteur, qui met sur pied la mission Covid-Télé, qui très vite réunit une dizaine d’experts du Covid-19 (Pasteur, l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), des CHU régionaux…), lesquels vont collaborer à une version plus aboutie. C’est ensuite l’Alliance digitale contre le Covid-19, composée d’industriels de la santé et d’acteurs du numérique, qui va accompagner le développement, prendre en charge l’hébergement et assurer la communication autour du projet. Le 18 mars, le site maladiecoronavirus.fr est lancé. Et bientôt référencé sur les sites gouvernementaux, puis intégré (www.gouvernement.fr/info-coronavirus/orientation-medicale), avec près de 8 millions de connexions en 6 semaines. Les données collectées, anonymisées, sont par ailleurs exploitées pour détecter l’apparition de foyers épidémiques.
« Le 15 était débordé, le temps d’attente atteignait parfois deux heures, se souvient Fabrice Denis, il fallait vraiment faire quelque chose. Nous voulions proposer une solution simple et efficace pour aiguiller les gens. À partir des réponses à 23 questions, correspondant à des symptômes, des facteurs de gravité et des facteurs de risque, notre logiciel délivre l’une des quatre recommandations suivantes : appeler le 15, consulter ou télé-consulter un médecin généraliste, rester attentif à tout nouveau symptôme, ou ne rien faire de spécial. Il ne s’agit pas d’intelligence artificielle à proprement parler, mais d’un simple arbre de décision défini par un comité d’experts à partir d’une synthèse de la littérature scientifique, et régulièrement mis à jour. »
Fondée en 2018 par des chercheurs en IA de Facebook et conseillée par son « chief AI scientist », Yann LeCun, la start-up Nabla, vise à « construire une plateforme de santé personnalisée, continue et préventive, accessible à tous grâce au machine learning ». Elle aussi a réagi très tôt en proposant un questionnaire d’orientation sur c19.info ainsi que sur le site du magazine Top Santé. Opérationnel quelques jours avant celui de Covid-Télé, il est lui aussi référencé sur les sites gouvernementaux mais sans y être intégré. « Notre objectif initial était de désengorger le 15, explique Martin Raison, le directeur technique de Nabla. Mais nous avons ensuite voulu aller plus loin en intégrant cet outil d’orientation dans un guichet offrant plus de réponses adaptées à la situation : conseils relatifs au déconfinement, possibilité de dialoguer avec un médecin ou un psychologue… »
L’imagerie plus fiable que la PCR
Le diagnostic du Covid-19 n’est pas simple. La symptomatologie est très variée d’un cas à l’autre et l’on considère souvent que le test décisif est la PCR (pour Polymerase Chain Reaction ou réaction de polymérisation en chaîne), qui consiste à amplifier le matériel génétique du virus au point de le rendre détectable par fluorescence. Mais on a vite observé que ces tests étaient affectés d’un fort taux de faux négatifs (sans doute dû essentiellement à la difficulté d’obtenir un bon échantillon nasal). A contrario, on sait aujourd’hui que l’imagerie thoracique, obtenue de préférence par tomodensitométrie, donne un résultat très fiable.
L’idée d’interpréter ces images à l’aide d’outils développés par apprentissage profond a vite germé. En Chine, plusieurs équipes (des chercheurs hospitalo-universitaires de Wuhan et Shenzhen, l’institut de recherche Damo Academy du groupe Alibaba, la start-up Infervision…) ont développé ce type d’outils et publié des résultats encourageants. Fin avril, une équipe universitaire publiait même ses travaux dans Cell (Kang Zhang et al.,doi.org/10.1016/j.cell.2020.04.045), tout en rendant les algorithmes et quelques données d’apprentissage accessibles en open source.
Fournir un pronostic précoce
En Europe, l’initiative commune Imaging Covid-19 (imagingcovid19ai.eu) a été lancée par la European Society of Medical Imaging Informatics. La société belge Icometrix (icometrix.com) annonçait dès le 23 avril un outil ayant déjà obtenu le marquage CE. En France, un projet collaboratif réunissant la start-up TheraPanacea, une dizaine de sites de l’AP-HP coordonnés par l’hôpital Cochin, l’Institut Gustave-Roussy et CentraleSupélec, est déjà bien avancé. « Notre approche ne vise pas à améliorer le diagnostic, mais plutôt à fournir un pronostic précoce, précise Nikos Paragios, professeur à CentraleSupélec et « président directeur scientifique » de TheraPanacea. Il est arrivé que des patients, après un test PCR et un examen scanner positifs, soient considérés comme des cas non sévères et renvoyés chez eux, pour être finalement hospitalisés peu après. Nous cherchons à minimiser ce risque. Notre outil prend en compte l’imagerie 3D thoracique mais aussi les données biologiques et cliniques (notamment la comorbidité : obésité, diabète, hypertension…). Nous avons mis au point un algorithme par apprentissage statistique et profond sur un millier de dossiers (environ 80 % pour l’apprentissage et 20 % pour les tests), qui délivre un pronostic signalant les cas sévères qui vont nécessiter une intubation, avec une indication sur le risque de décès. Nous avons pu vérifier qu’il fournissait un pronostic plus fiable qu’un collège de trois radiologues.
Nous espérons l’améliorer et obtenir une validation clinique grâce à l’ensemble des données Covid-19 collectées au sein de l’AP-HP plus une cohorte nationale de 10 000 patients administrée par Marie-Pierre Revel, radiologue (PU-PH) à l’hôpital Cochin, en partenariat avec GE et le Health Data Hub. Grâce à la procédure accélérée mise en place pendant la pandémie, nous espérons obtenir le marquage CE dans trois ou six mois. »
Image à la une : Microphotographie du virus SARS-CoV-2 © NIAID © Wikimedia Commons