Décrypter la pandémie Covid-19 pour mieux l’endiguer
⏱ 5 minLes sciences des données sont outillées pour participer à la lutte contre le virus SARS-CoV-2. Leur mission : analyser cette pandémie, la modéliser, déterminer les paramètres qui favorisent ou freinent son expansion, pour ensuite proposer des stratégies.
En France, tous les grands organismes de recherche concernés ont lancé des initiatives contre le Covid-19 : CNRS, Inserm, Inria, Inrae, IRD, CEA, ainsi que l’Institut Pasteur, les CHU et CHR, les universités et grandes écoles… chacun selon ses compétences. Avant même que la pandémie se propage depuis la Chine vers le reste du monde, nous savions que nous n’avions pas de traitement adapté. Tandis que les pharmacologues se mobilisaient pour trouver des molécules efficaces, d’autres initiatives visaient à comprendre le phénomène à l’échelle des populations. L’épidémiologie était convoquée sur le front, et avec elle son outillage mathématique, statistique et algorithmique.
Si l’ampleur de cette pandémie a semblé surprendre la planète entière, les spécialistes du domaine savaient en revanche que ce genre de catastrophe pouvait arriver. Grippe H1N1 de 1918, Sida, grippe de Hong Kong de 1968… sans oublier Ebola, Zika, chikungunya, etc. : l’histoire de l’humanité est pavée de pandémies. Qui plus est, la famille des coronavirus avaient déjà par deux fois attiré l’attention : en 2003 avec le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) et en 2013 avec le MERS (syndrome respiratoire du Moyen-Orient).
Se préparer aux maladies infectieuses émergentes
C’est d’ailleurs peu après l’épisode du MERS, en 2014, que l’Inserm a créé une entité explicitement consacrée à la préparation de réponses à apporter aux maladies infectieuses émergentes à venir : le consortium REACTing (REsearch and ACTion Targeting Emerging Infectious Diseases, reacting.inserm.fr). Cela avec ses partenaires de l’Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), qui réunit les principaux acteurs français de la recherche en sciences de la vie et de la santé : CNRS, CEA, Inrae, Inria, Inserm, Institut Pasteur, IRD, CPU (Conférence des présidents d’université) et la Conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers régionaux et universitaires. REACTing est coordonné par l’institut Immunologie, Inflammation, Infectiologie et Microbiologie (I3M) et dirigé par son directeur, l’infectiologue et épidémiologiste Yazdan Yazdanpanah, par ailleurs chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Bichat.
Dès le 20 janvier, REACTing annonçait trois initiatives pour se préparer à la nouvelle pandémie, dont la consolidation d’un « groupe modélisation » destiné à « modéliser la propagation possible de l’épidémie en France et en Europe, et anticiper son impact sur les populations ». Après appel à propositions, était publiée le 11 mars une liste de vingt projets de recherche sélectionnés. Trois d’entre eux concernent l’épidémiologie et la modélisation de l’épidémie, pour mieux anticiper la diffusion du virus en fonction des zones géographiques. Notamment le projet « Modélisation mathématique permettant d’anticiper le risque d’importation du 2019- nCoV en fonction des zones géographiques », dirigé par Vittoria Colizza (Inserm, Sorbonne Université, Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et santé publique). Et le projet « Suivi de la cohorte de tous les patients infectés », piloté par France Mentré (Inserm, université Paris-Diderot, unité Évolution de la modélisation des antimicrobiens infectieux).
Le 24 mars a été installé par le gouvernement un « Comité analyse, recherche et expertise » (CARE), composé de douze médecins et chercheurs, et présidé par Françoise Barré-Sinoussi (Institut Pasteur, Inserm), lauréate en 2008 du prix Nobel de médecine pour ses travaux sur le VIH. Ce comité a pour première mission de donner un avis éclairé aux pouvoirs publics sur la base des recommandations formulées par des scientifiques français et étrangers. Il a aussi vocation à solliciter la communauté scientifique afin de développer des propositions sur des sujets identifiés par les ministères en charge de la santé et de la recherche.
Modélisation de la gestion de crise
De son côté, le CNRS a lancé le 25 mars l’initiative ModCov19 (modcov19.math.cnrs.fr), une « plateforme de coordination des actions autour de Covid-19 impliquant la modélisation ». C’est l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (INSMI), qui a été chargé de piloter cette opération, sous la houlette de deux de ses directeurs adjoints scientifiques, Jean-Stéphane Dhersin et Emmanuel Royer.
Le premier rôle de ModCov19 est d’informer CARE et REACTing sur les travaux en cours et sur la capacité des équipes de recherche à répondre à des besoins en lien avec le Covid-19 en matière de modélisation des épidémies, mais également d’autres types de modélisations : gestion en temps de crise du personnel hospitalier, suivi des déplacements de populations, gestion des appels téléphoniques aux services d’urgence…
« Dans la semaine qui a suivi la création de ModCov19, précise Jean-Stéphane Dhersin, nous avions déjà reçu quelque 150 réponses, et les propositions continuent d’affluer. Elles sont de trois types. Des projets établis nous tiennent informés, nous les aidons en les mettant en relation avec des équipes ou des chercheurs travaillant sur une thématique proche et en les informant en retour sur ce qui se fait ailleurs, afin d’éviter les redondances. Il y a ensuite des chercheurs qui arrivent avec un projet incomplet : il peut leur manquer des compétences, des outils, des données. Nous les mettons en contact avec d’autres équipes ou chercheurs en mesure de les aider. Enfin, nous recevons également des propositions de chercheurs qui ne sont pas porteurs d’un projet particulier mais proposent leurs compétences. Il s’agit aussi de développer une culture de l’utilisation d’outils fondamentaux à l’épidémiologie et de faire se parler des communautés scientifiques. »
Évaluer l’effet des mesures prises
Les projets accompagnés par ModCov19 concernent plusieurs types de modélisation relatives à la pandémie. « Les plus attendus sont ceux qui permettent de répondre à des questions que se posent les pouvoirs publics, indique Emmanuel Royer. Quel est l’effet des mesures prises (gestes barrières, distanciation physique, confinement…) sur la propagation du virus, quel effet peut avoir une application de traçage et comment doit-elle être utilisée pour être efficace, sait-on modéliser ce qui se passe dans les écoles, etc. Mais d’autres projets concernent encoredes outils de quantification, comme par exemple des outils de suivi des réseaux sociaux. Enfin il y a des sujets moins grandioses mais essentiels comme le nettoyage des données et des projets plus fondamentaux et de long terme sur la modélisation des épidémies, qui ne manqueront pas de revenir. »
L’Inria a bien entendu créé une Mission Covid-19 (mission-covid19.inria.fr), chargée de mettre les sciences des données au service du combat contre la pandémie et de répondre à toutes sortes de besoins « en gestion de flux de données, en visualisation des données, en extraction d’information, en analyse prédictive… », ou plus généralement à tout besoin de compétences dans les domaines du numérique et des technologies de l’information.
Application mobile de traçage
Le gouvernement a confié le 8 avril à Inria le pilotage opérationnel du projet StopCovid visant à développer une application mobile de traçage (« contact tracing »). Cet effort réunit l’expertise d’acteurs publics et privés : Inria, Inserm, ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information), Santé publique France, Orange, Capgemini, Dassault Systèmes, Lunabee Studio et Withings. Le projet est mené en relation avec les équipes développant des applications semblables en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne ou en Norvège, notamment pour garantir un certain niveau d’interopérabilité. Les équipes Inria et leurs partenaires ont rapidement publié leur protocole ROBERT (pour ROBust and privacy-presERving proximity Tracing– https://github.com/ROBERT-proximity-tracing/documents).
Toute la difficulté réside dans la nécessité de concilier efficacité et respect de la vie privée, notamment de la directive RGPD. La transparence est évidemment de mise, afin d’apporter toutes les garanties en matière de contrôle par la société civil : « transparence des algorithmes, code ouvert, interopérabilité, auditabilité, sécurité et réversibilité des solutions. »
Bien d’autres projets, en France et ailleurs, visent à s’appuyer sur les sciences des données pour modéliser, plus généralement analyser, comprendre cette pandémie de Covid-19 et imaginer des stratégies pour l’endiguer. En attendant de pouvoir vraiment soigner les pathologies provoquées par le virus SARS-CoV-2. Et de nombreuses initiatives cherchent à exploiter le potentiel des sciences des données pour disséquer ce pathogène et élucider son interaction avec l’organisme afin de concevoir des outils diagnostiques et des réponses thérapeutiques, voire préventives. Nous y reviendrons…
Image à la une : Phylogénie du virus Sars-CoV-2 © Nextstrain © Mapbox © OpenStreetMap