Détecter précocement la maladie d’Alzheimer… dans la dynamique d’une signature
⏱ 4 minUne équipe française a montré que l’analyse de la dynamique d’une signature à l’aide d’un modèle construit par apprentissage automatique permet de détecter des signes précoces de la maladie d’Alzheimer.
Pour l’aide à la décision dans le diagnostic précoce des maladies neuro-dégénératives, des travaux de recherche analysent différents signaux comme la voix, l’écriture, la démarche. En faisant appel à l’apprentissage automatique, une équipe française a montré que le geste dynamique de la signature recèle assez d’informations pour caractériser les premiers stades de la maladie d’Alzheimer.
Sonia Garcia-Salicetti est professeure à Telecom SudParis et chercheuse au sein de l’équipe Armedia (Applied Research for multi Media Enrichment, Diffusion, Interaction and Analysis) du laboratoire Samovar de Telecom SudParis. Elle s’intéresse depuis longtemps à l’analyse des signaux biométriques, tout d’abord appliquée à la vérification d’identité : par la signature, l’iris, ainsi que la fusion avec d’autres modalités biométriques. Mais par la suite, la chercheuse s’est également penchée sur le diagnostic de certaines pathologies à partir de signaux biométriques comportementaux, et a notamment publié¹ des résultats sur la caractérisation de la maladie d’Alzheimer via l’analyse de la signature dynamique.
Évaluation des capacités cognitives
Ces travaux ont porté sur des signatures obtenues dans le cadre du projet ALWRITE (ALzheimer Writing Walking Talking Empowerment)², qui s’intéresse à trois types de signaux biométriques : l’écriture, la signature et plusieurs gestes graphiques manuscrits, la voix et la marche. Les données ont été acquises à l’hôpital Broca de l’APHP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris). Les participants ont également passé un MMSE (Mini-Mental State Examination), un test d’évaluation des capacités cognitives et mnésiques très utilisé pour le dépistage des troubles neurocognitifs, comportant 30 questions destinées à mesurer notamment la mémoire et l’orientation dans le temps et l’espace.
« Nous avons inclus dans notre étude des patients âgés d’au moins 60 ans, présentant des signes de la maladie d’Alzheimer, mais à un stade dit « léger », et obtenant un score supérieur à 20/30 au test MMSE, indique Sonia Garcia-Salicetti. Nous avons ainsi recueilli, lors d’une première campagne d’acquisition, les signatures de 31 patients volontaires, et par ailleurs celles de 39 personnes d’âge comparable mais en bonne santé, constituant un groupe contrôle. Deux signatures ont été enregistrées pour chaque participant à l’étude. »
Tester dans des conditions familières
Afin de recueillir un geste le plus naturel possible, le maximum a été fait pour que chaque participant à l’étude se retrouve dans une situation familière. Il a été invité à signer avec un stylo à encre sur une vraie feuille de papier placée sur une tablette numérique. « Nous utilisons une tablette Wacom Intuos pro large, précise la chercheuse. Elle fournit cinq paramètres en fonction du temps : la position en x et y de la pointe du stylo sur la surface de la tablette, la pression exercée, ainsi que deux angles correspondant à l’inclinaison du stylo par rapport au plan d’écriture et son orientation dans ce plan. En analysant les séquences de ces cinq paramètres, on accède à la dynamique du tracé et de la tenue du stylo, impliquant le système poignet-main-doigts. La signature est un geste balistique, libre. L’information issue de la tablette nous dit comment il est produit. »
« La signature a tendance à se simplifier avec l’âge, assure Sonia Garcia-Salicetti, mais le processus s’accélère chez les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer. Nos algorithmes quantifient les irrégularités dans les séquences des cinq paramètres, lors de la production du tracé. Plus précisément, nous calculons l’entropie de chaque séquence (Sample Entropy), qui est une mesure de complexité, connue dans la littérature sur les signaux physiologiques. Elle caractérise la quantité d’information apportée par un signal échantillonné ».
Le tonus diminués des patients au stade précoce de la maladie
« Nous avons observé que les signatures des patients au stade précoce de la maladie d’Alzheimer montrent une entropie plus faible, contiennent moins d’information que celles de personnes en bonne santé, tout particulièrement dans les signaux mesurant la pression du stylo et son angle par rapport au plan de la tablette, précise la chercheuse. Cela parce que ces patients ont tendance à tenir le stylo avec moins de tonus, ce qui a un impact sur la pression exercée et les mouvements verticaux du stylo lors du geste de signer. Leur système poignet-main-doigts est altéré. »
« Nous avons exploité les entropies de ces fonctions temporelles pour la classification automatique, avec un classifieur du type SVM (Support-Vector Machine, soit machine à vecteurs de support), explique Sonia Garcia-Salicetti. Nous obtenons une sensibilité et une spécificité équilibrées, de 74,2% et 76,9% respectivement. » Rappelons que la sensibilité est le taux de malades correctement détectés. De son côté, la spécificité est le taux de sujets sains correctement détectés.
Un geste court, naturel et assez libre
« Nos travaux montrent que l’enregistrement sur tablette de la signature, bien qu’il s’agisse d’un signal très bref, véhicule une information riche sur les capacités motrices et cognitives du patient, du fait de sa nature balistique, automatique et inconsciente, estime la chercheuse. » Ce qui en fait un bon candidat comme outil d’évaluation de l’état de santé. « L’avantage du test de la signature, c’est qu’il s’agit d’une tâche très courte, d’un geste naturel, libre. Il pourrait être mis en œuvre dans la salle d’attente d’un service de gériatrie, sur une tablette graphique connectée à un poste fixe, dans une optique d’aide à la décision pour le corps médical… »
Est-ce que l’on peut envisager une version simplifiée de ce test, permettant son usage hors clinique, en recueillant la signature sur une tablette, voire un simple smartphone ? « Actuellement notre étude exploite des paramètres issus d’une tablette dite active, qui échange des informations avec le stylo et peut ainsi récupérer la pression et l’inclinaison du stylo au cours du temps, indique Sonia Garcia-Salicetti. Il est possible d’utiliser d’autres dispositifs mais cela demande une étude spécifique sur des données de patients. Nous n’avons à ce jour fait des études que sur des sujets sains, dans une optique d’identification biométrique, sur tablette iPad et iPhone, ainsi que sur des smartphones sous Android dotés d’un stylet. »
Un diagnostic difficile à poser
« Même en s’appuyant sur une batterie de tests, poser un diagnostic reste un problème pour le médecin. » Les travaux de Sonia Garcia-Salicetti et ses collègues montrent que l’analyse de la signature à l’aide de techniques d’intelligence artificielle pourrait constituer un premier test d’évaluation fiable alors qu’il exige très peu du patient : « Nous proposons un nouvel outil diagnostique. Sa principale qualité est qu’il est libre. »
NOTES
1. Zelong Wang, Majd Abazid, Nesma Houmani, Sonia Garcia-Salicetti et Anne-Sophie Rigaud, Online Signature Analysis for Characterizing Early Stage Alzheimer’s Disease: A Feasibility Study, Entropy 2019, 21(10), 956; doi.org/10.3390/e21100956
2. Projet financé en partie par la Fondation MAIF, qui est partenaire du Data Analytics Post