Cardiologs : cette start-up française interprète les électrocardiogrammes grâce à l’apprentissage profond
⏱ 3 minPlutôt que de remplacer le cardiologue, explique Jia Li, directeur scientifique de Cardiologs, l’apprentissage profond permet surtout de l’aider à faire face à des volumes croissants de données à interpréter : aujourd’hui les interminables ECG ambulatoires, demain ceux issus des montres connectées.
Dans le domaine médical, les contributions de l’apprentissage profond les plus connues relèvent généralement de la vision artificielle et concernent le plus souvent l’interprétation d’images, comme les mammographies. Mais le deep learning est également performant lorsqu’il s’agit d’analyser des signaux unidimensionnels, tout particulièrement ceux issus d’électrodes qui renseignent sur l’activité du cœur.
L’électrocardiogramme traditionnel, ou ECG de repos, s’obtient en plaçant huit électrodes sur le thorax et quatre sur les membres, et produit donc douze signaux qui sont enregistrés pendant quelques minutes. Les cardiologues savent y reconnaître toutes sortes de signes révélateurs de certaines pathologies cardiaques. Dès que l’on a pu, dans les années 1950, numériser ces signaux, on a commencé à développer des algorithmes de reconnaissance des formes susceptibles de détecter certaines anomalies du rythme cardiaque. Mais aujourd’hui encore, à l’heure de l’apprentissage automatique, les meilleurs logiciels ne peuvent prétendre poser un diagnostic suffisamment fiable pour qu’il puisse être pris pour argent comptant. Ils apportent une aide plus ou moins appréciée au cardiologue, qui pose son diagnostic en tenant compte de l’ensemble des données disponibles sur le patient.
C’est pour interpréter un autre type d’ECG que l’IA s’avère la plus productive. Car pour diagnostiquer certains soucis cardiaques, on prescrit couramment de nos jours des ECG ambulatoires, obtenus à l’aide d’un enregistreur léger porté par le patient dans la durée. Un « holter ECG », dit-on dans le jargon, du nom de son inventeur, Norman Holter (1914-1983), qui a concrétisé le concept dès 1954. Ce tout premier holter pesait 38 kg, les actuels ne sont pas plus lourds ni encombrants qu’un téléphone cellulaire et se portent à la ceinture ou en médaillon, autour du cou.
Diagnostiquer les troubles du rythme cardiaque
Un holter est selon les cas porté pendant une nuit, 24 ou 48 heures. Et même parfois une semaine voire jusqu’à trois. Il enregistre généralement les signaux issus d’une, deux ou trois électrodes collées sur le thorax, mais parfois plus. Les ECG obtenus sont moins détaillés que ceux issus d’un ECG de repos à douze dérivations (électrodes), en revanche ils fournissent un monitoring du cœur au long cours qui permet de détecter des événements rares.
L’interprétation par un humain d’un ECG de 24 ou 48 heures, à fortiori d’une ou plusieurs semaines, est évidemment très chronophage. C’est pourquoi les cardiologues ont plutôt vu d’un bon œil l’apparition de logiciels d’aide au diagnostic reposant sur l’apprentissage profond. « L’interprétation d’ECG issus d’un holter cardiaque représente 95% de notre activité, assure Jia Li, directeur scientifique et cofondateur de Cardiologs. » Lancée en 2014, cette start-up parisienne s’est rapidement fait une place au soleil sur le marché états-unien après avoir obtenu l’homologation de sa solution par la FDA (Food and Drug Administration) en 2017.
« Notre outil diagnostique la plupart des troubles du rythme cardiaque », assure Jia Li. À commencer par les plus fréquents : la fibrillation atriale, qui signale un risque de rechute après un AVC, les pauses cardiaques, qui suggèrent un risque de syncope, et la tachycardie ventriculaire, qu’il faut suivre après une crise cardiaque.
« Au début, nous avions essayé des approches de machine learning classiques, se souvient Jia Li. Mais nous obtenions des résultats proches de ce que proposaient déjà les fabricants d’électrocardiographes. Nous sommes rapidement passés au deep learning, en mode supervisé, dès que nous avons pu obtenir une première base de données satisfaisante d’ECG, en 2015, grâce à un accord avec un hôpital de Minneapolis. » La start-up travaille désormais à une autre échelle. « Aujourd’hui, nous disposons de quarante millions d’échantillons d’ECG, qui représentent cinq mille années d’enregistrement. Désormais, nous entraînons nos modèles en mode supervisé et en semi-supervisés, car il n’est plus possible d’annoter de telles quantités de données. »
Les montres connectées faciliteront le suivi des patients par leur cardiologue
Depuis l’année dernière, la start-up étend son réseau en France. Mais c’est aux États-Unis qu’elle s’est d’abord fait un nom. « Les États-Unis représentent aujourd’hui 90% de notre activité, indique Jia Li, que ce soit en termes de clientèle, de données traitées ou de revenus. Là-bas, l’analyse des ECG est une industrie. Les médecins ne les lisent pas eux-mêmes, et ils peuvent être prescrits par des généralistes, par exemple pour un patient qui se plaint de palpitations. L’interprétation est confiée à des entreprises sous-traitantes. »
Ces dernières années, une nouvelle source d’ECG se banalise. « L’apparition des montres et autres objets connectés permettant d’enregistrer un électrocardiogramme, certes simplifié mais néanmoins porteur d’informations exploitables, est très intéressante, estime Jia Li. Une proportion croissante de la population sera en mesure de surveiller l’état de son cœur, ce qui facilitera la prévention des accidents cardiaques. Nous avons lancé une plateforme pour prendre en charge ces ECG d’un genre particulier. L’objectif est d’améliorer le suivi du patient par son cardiologue. »
Si l’IA peut aider le cardiologue, c’est d’abord en l’aidant à prendre en charge des quantités de données croissantes, qu’il s’agisse aujourd’hui des interminables enregistrements issus d’un holter, ou du déluge prévisible d’ECG provenant de montres connectées demain.
Pierre Vandeginste
Image en une : copyright ©Cardiologs