Metabiot : une équipe bretonne met l’intelligence artificielle au service de la sécurité sanitaire des aliments
⏱ 5 minMieux comprendre la relation entre le microbiote intestinal des porcs et poulets et leur métabolisme, grâce à l’apprentissage automatique, c’est l’un des objectifs de ces chercheurs du Cnam et de l’Anses. Avec pour motivation l’amélioration de la sécurité sanitaire dans la filière viande.
La science des données se rend décidément utile dans des domaines de recherche divers et inattendus. Ainsi, des microbiologistes et autres spécialistes de la sécurité sanitaire dans la filière viande estiment son usage si prometteur qu’ils ont proposé et obtenu la création d’une nouvelle entité de recherche ad hoc. Metabiot est une Unité sous contrat (USC) placée sous la tutelle conjointe de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Elle est co-dirigée par Philippe Fravalo pour le Cnam et Marianne Chemaly pour l’Anses. Metabiot a pour objectif de mettre en œuvre les méthodes de la science des données pour améliorer la sécurité sanitaire des aliments, particulièrement de la viande. À terme, ces travaux devraient déboucher sur la définition de nouveaux outils pour optimiser la maîtrise des zoonoses alimentaires. La création de Metabiot a été officialisée fin février dernier, au Salon International de l’Agriculture. Cette entité regroupe 23 personnes, la plupart dans les laboratoires de Ploufragan, près de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor).
UNE SIGNATURE DE L’INFECTION DANS LE MÉTABOLOME
Professeur au Cnam, Philippe Fravalo est donc l’un des co-directeurs de cette nouvelle unité de recherche. Microbiologiste, spécialiste des problématiques de transmission des bactéries pathogènes alimentaires depuis les élevages avicoles et porcins jusqu’aux circuits de distribution de la viande, il est également depuis 2011 professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. « L’un des sujets que nous voulons aborder est le “portage asymptomatique”, explique le chercheur. Il s’agit de ces germes qui ne provoquent aucun signe chez l’animal et sont donc difficiles à détecter, mais qui peuvent être transmis à l’homme chez qui ils provoquent des maladies parfois graves. Notamment les bactéries des genres Salmonella et Campylobacter. Nous cherchons dans le métabolome, c’est-à-dire l’ensemble des métabolites présents dans un échantillon biologique, typiquement sanguin, prélevé sur l’animal, des signaux indicatifs, la signature d’une infection asymptomatique. »
Ces travaux peuvent déboucher sur diverses démarches, notamment préventives. « On peut notamment s’intéresser à la relation entre l’alimentation et l’apparition de ces infections. Par exemple, la présence de salmonelles chez un animal, porc ou volaille, est associée à la présence d’une autre bactérie intestinale, du genre Blautia, qui fait partie de leur flore intestinale. Si on donne une alimentation qui fait baisser la présence de ces bactéries Blautia, est-ce que l’on diminue le risque d’infection par les salmonelles ? Mais d’une manière générale, nous cherchons à mieux comprendre la subtilité du portage asymptomatique. »
Avant même la création officielle de Metabiot, des travaux faisant appel à l’outillage de l’IA pour étudier cette relation entre métabolome et portage asymptomatique ont déjà porté leurs fruits dans le cadre du projet Pamsha, une collaboration entre le Cnam et l’Anses qui a débuté en septembre 2020. L’objectif était d’améliorer la compréhension du microbiote intestinal des porcs et notamment d’étudier le métabolisme de porcs infectés ou non par des bactéries du genre Salmonella. « Nous avons montré, en faisant appel aux outils de l’apprentissage automatique, que le portage de Salmonella est associé à une modification de leur métabolome, assure Philippe Fravalo. Et nous poursuivons ces travaux avec de nouveaux échantillons provenant de 150 élevages. » Un nouveau projet, Metavic, vient d’être lancé. Il concerne cette fois la filière avicole : il s’agit de comprendre l’impact sur le métabolisme des poulets d’une infection par Salmonella ou Campylobacter.
DES MILLIERS DE SIGNAUX ISSUS DE LA SPECTROMÉTRIE DE MASSE
Le traitement des données est le fait de Guillaume Larivière-Gauthier, un jeune chercheur québécois en microbiologie, spécialisé dans la salubrité alimentaire et dans l’étude du microbiote et du métabolome des animaux de production. Après avoir soutenu une thèse dirigée par Philippe Fravalo, à l’Université de Montréal, il est depuis septembre 2020 chercheur postdoctoral au sein de l’équipe du Cnam du site de Ploufragan, et depuis peu rattaché à la nouvelle structure Metabiot. Il a tout d’abord travaillé sur la relation entre l’infection des porcs par la salmonelle et leur microbiote. Les salmonelles sont des entérobactéries qui peuvent infecter les porcs de manière asymptomatique alors qu’elles provoquent chez l’homme diverses pathologies, notamment la salmonellose, première cause de décès en France (une soixantaine par an en moyenne) par infection alimentaire.
« Nous avons cherché à répondre à une question, explique le chercheur. Peut-on à partir du métabolome dans le sang du porc distinguer les porcs contaminés des non-contaminés ? Nous avons donc fait appel à l’apprentissage automatique pour classifier les métabolomes à partir d’échantillons sanguins issus de porcelets infectés et de porcelets témoins. Le sérum sanguin de ces échantillons a d’abord été traité par chromatographie en phase liquide, ce qui permet de faire une première séparation des molécules. Puis nous avons utilisé la spectrométrie de masse, qui permet de déterminer la masse moléculaire des différents métabolites présents dans l’échantillon et de les quantifier. Dans la masse de données issue de cette analyse, nous nous sommes intéressés à près de 3000 signaux. » Des pics dans le spectre, correspondant chacun à un métabolite d’un certain poids moléculaire.
« Dans un premier temps, nous avons cherché à classifier simplement les échantillons provenant d’animaux infectés et non infectés, poursuit Guillaume Larivière-Gauthier. En l’occurrence 24 porcelets infectés et 5 témoins. Dans un second temps, nous avons voulu aller un peu plus loin en distinguant deux niveaux d’excrétion fécale de salmonelles, et nous avons classé nos échantillons en 13 fortement excréteurs, 11 faiblement excréteurs et 5 témoins. Pour traiter ces données, nous avons comparé toutes sortes d’outils d’apprentissage automatique, comme les forêts aléatoires, les SVM, les réseaux de neurones… Nous avons obtenu les meilleurs résultats avec la PLS-DA, une méthode d’analyse discriminante dite “par les moindres carrés partiels”, Partial Least Squares-Discriminant Analysis. C’est un outil adapté à la classification de données de grande dimension, souvent utilisé par d’autres auteurs travaillant sur le métabolome. Les forêts aléatoires ont également donné de bons résultats. À l’inverse, les réseaux de neurones se sont montrés très inefficaces. Ce qui n’est pas vraiment étonnant : on sait qu’ils ne sont pas adaptés à ces problèmes où l’on a trop de variables sur trop peu d’échantillons… Avec la PLS-DA, nous avons obtenu un modèle capable de classifier les échantillons infectés et sains avec une sensibilité de l’ordre de 90% et une spécificité d’environ 80%. » Des résultats prometteurs, donc, qui doivent être publiés prochainement.
AMÉLIORER ENCORE LA SÉCURITÉ SANITAIRE DE LA VIANDE
Le chercheur s’attaque désormais à un autre sujet sur lequel il espère confirmer la validité de son approche. Il s’agit cette fois de volailles et d’un autre type de pathogène, les bactéries du genre Campylobacter. Le problème sanitaire est similaire : ces bactéries induisent des infections asymptomatiques sur la volaille mais elles sont dangereuses pour l’homme, chez qui elles provoquent des gastro-entérites. « Nous travaillerons sur des données issues vraisemblablement de cinquante poulets infectés et cinquante poulets témoins, précise le chercheur. Et nous nous intéresserons à l’évolution des signaux dans le temps après infection. Nous analyserons sans doute chaque semaine les échantillons provenant de dix poulets infectés et dix sains, et cela pendant cinq semaines. » À nouveau, l’équipe enchaînera prises de sang, chromatographie en phase liquide du sérum, spectrométrie de masse… et apprentissage automatique. Avec l’espoir de mettre à jour une relation solide entre métabolome et infection, susceptible de déboucher sur de nouvelles solutions pour améliorer la sécurité sanitaire de ces poulets qui finissent dans nos assiettes.