Un apprentissage sur mesure grâce à l’IA
⏱ 6 minLancé aux États-Unis, l’adaptive learning fait appel à l’intelligence artificielle pour adapter le contenu des cours et des exercices aux besoins de chaque élève. En France aussi, cette tendance se développe. Illustration avec trois start-up : Domoscio, Lalilo et EvidenceB kidscode.
En France, 20 % des élèves qui arrivent en sixième présentent de gros problèmes de lecture et, chaque année, 100 000 jeunes sortent du système éducatif sans diplôme de fin d’études secondaires (CAP ou bac). Dans les universités, ce n’est guère plus réjouissant, puisqu’un étudiant inscrit en licence sur trois abandonne dès la première année. La raison principale de ces échecs ? La massification de l’enseignement : face à des classes ou à des amphis toujours plus remplis, les profs sont contraints de délivrer le même enseignement à tout le monde, sans prendre en compte le niveau de chacun.
C’est ce constat qui a conduit plusieurs start-up à développer depuis quelques années des solutions dites d’adaptive learning – apprentissage adaptatif – fondées sur l’intelligence artificielle (IA). Leur ambition : analyser à la loupe les données des élèves pour fournir à chacun des contenus d’apprentissage sur mesure. C’est aux États-Unis que cette tendance a émergé, les start-up Knewton et Carnegie Learning étant les pionnières en la matière.
Parcours d’apprentissage individualisé
Outre-Atlantique, dans les écoles ou les universités équipées de ces solutions, les élèves les utilisent au quotidien pour leur cours, mais aussi pour passer leurs examens. Les outils enregistrent ainsi tout ce que fait un apprenant devant son ordinateur : du nombre de réponses correctes à un QCM à son temps d’hésitation lorsqu’il y répond, en passant par les éléments qu’il surligne virtuellement dans un texte et même les déplacements de sa souris à l’écran. Un algorithme de machine learning intègre ensuite toutes ces données pour proposer un parcours personnalisé à chaque élève. Et plus l’élève passe de temps sur la plateforme, puis celle-ci le connaît et propose des contenus adaptés.
Dans l’Hexagone aussi, l’adaptive learning a commencé à faire des adeptes. Créée en 2013, la start-up Domoscio a été la première à se lancer sur ce créneau. Utilisée surtout par les entreprises pour la formation professionnelle, en France et dans plusieurs pays européens, sa solution est aussi déployée dans l’enseignement supérieur, sur plusieurs plateformes d’apprentissage en ligne et autres MOOC. « Aujourd’hui, les systèmes de recommandation utilisés par Netflix ou Google, pour ne citer qu’eux, peuvent nous conseiller, suivant notre profil, les bons films à regarder, les bons liens sur internet sur lesquels cliquer, ou les bonnes personnes avec qui échanger. Pourquoi ne pas faire la même chose pour l’apprentissage, où il est particulièrement difficile de faire le tri dans toutes les ressources pédagogiques existantes. En utilisant les mêmes techniques de recommandation fondée sur le machine learning, on peut ainsi automatiser l’individualisation des parcours d’apprentissage des étudiants et des personnes voulant se former à un métier », explique Benoit Praly, président et cofondateur de Domoscio.
Concrètement, les ressources (vidéos, leçons, exercices, questionnaires, modules…) sur lesquelles la start-up fait des recommandations sont soit fournies par les éditeurs scolaires ou de formation continue, soit directement conçues par les enseignants des établissements scolaires ou les formateurs des entreprises, soit déjà existantes sur le web. Lorsqu’un utilisateur commence à travailler sur la plateforme d’apprentissage, la solution de Domoscio détermine pour chaque contenu consulté par l’apprenant si l’impact a été positif ou négatif dans sa progression, et cela en fonction du temps passé sur une ressource, ou encore du nombre de réponses bonnes ou mauvaises à un quiz.
Généralisé à l’ensemble des apprenants, le logiciel retient ainsi les parcours optimaux – la succession de ressources utilisées – selon les atouts, les lacunes et les préférences de chacun. Quand un nouvel apprenant arrive sur la plateforme, son profil est comparé à celui des personnes passées avant lui et on peut alors lui recommander les contenus qui ont bien marché pour ceux qui lui ressemblaient. « Et si jamais il s’avère que certaines ressources n’ont pas eu l’impact espéré, le système apprend de ces erreurs pour proposer aux personnes suivantes un parcours plus adapté encore », détaille Benoit Praly.
De cette manière, plus le nombre d’utilisateurs augmente, plus les recommandations deviennent pertinentes. Les chiffres avancés par Domoscio en attestent : leur étude réalisée sur 500 élèves pendant deux mois a montré que pour atteindre un résultat équivalent, un élève bénéficiant de l’outil d’adaptive learning a besoin de 37 % de ressources pédagogiques en moins qu’un élève suivant le parcours ordinaire. Un précieux gain de temps !
Entraînement intensif personnalisé
De son côté, la start-up Lalilo propose depuis 2017 une solution d’adaptive learning pour l’apprentissage de la lecture du français et de l’anglais au primaire. L’outil a été adopté aujourd’hui par près de 5 000 enseignants, aux États-Unis, au Canada et en France. La start-up développe à la fois les contenus pédagogiques et les algorithmes d’IA nécessaires pour personnaliser l’apprentissage. Utilisé de 15 à 20 minutes par jour par les élèves, le logiciel éducatif permet aux enfants de s’exercer sur différentes habiletés de lecture (son des lettres, formes des lettres…) à leur propre rythme, le niveau des exercices s’adaptant aux difficultés, ou au contraire aux facilités, rencontrés par les uns et par les autres. « Avec notre outil, les élèves disposent d’un entraînement intensif personnalisé sur des taches précises que les profs ne pouvaient par leur apporter par manque de temps », souligne Benjamin Abdi, directeur général et cofondateur de Lalilo.
Pour adapter le parcours d’apprentissage à chaque enfant, le logiciel analyse les résultats des exercices réalisés jusqu’ici. En fonction des réponses, bonnes ou mauvaises, de la nature des erreurs et des temps de réponse aux questions, un algorithme de machine learning, entraîné sur l’ensemble des données de tous les élèves, prédit alors la probabilité de réussite de ce dernier à tous les autres exercices. « Mais l’IA ne fait pas tout dans notre solution. Pour décider de l’exercice suivant à proposer à l’élève, nous prenons aussi en compte des critères définis par des experts pédagogiques, à savoir l’alternance des niveaux de difficulté pour challenger un enfant ou au contraire le remettre en confiance, ou encore la variété des types de compétences mises en jeu », détaille Benjamin Abdi.
Outil d’entraînement pour les élèves, le logiciel de Lalilo se veut aussi un assistant pédagogique pour le prof. À terme, celui-ci pourra par exemple décider d’une liste de mots, ou d’un thème lexical particulier en rapport avec son cours, sur lequel les enfants devront s’exercer. Inversement, l’outil pourra recommander certaines activités à l’enseignant, par exemple lui conseiller de faire un bingo de mots avec ses élèves parce que nombre d’entre eux ont buté sur ces mots en question. D’ores et déjà, grâce à un tableau de bord pointant du doigt les faiblesses et les points forts de chaque élève, les enseignants sont en mesure de repérer des groupes rencontrant les mêmes difficultés dans sa classe et de décider par exemple de passer un peu plus de temps avec eux sur ces notions. « Il faut sortir du mythe de la machine à apprendre et voir ces technologies plutôt comme une aide à la différenciation de l’enseignement », résume Benjamin Abdi.
Retour aux concepts fondamentaux
Autre start-up française qui mise sur l’adaptive learning : EvidenceB kidscode. Créée en 2017, elle commencera à proposer sa solution, actuellement en phase de test dans plusieurs classes, à la rentrée scolaire prochaine. Destiné aux élèves du primaire, du collège et du lycée, le logiciel fait travailler ces derniers dans différentes matières (maths et français notamment) sur des concepts fondamentaux identifiés par les neurosciences (sens des nombres, sens des proportions, sens du mot, sens du verbe…) qui, s’ils sont mal perçus par les enfants, peuvent entraîner des difficultés d’apprentissage. « À travers une série d’exercices que nous avons conçus en collaboration avec des cogniticiens, l’outil permet aux élèves de se réapproprier ces grands concepts et de débloquer ainsi leur apprentissage », confie Thierry de Vulpillières, président et cofondateur d’EvidenceB kidscode.
Pour un sujet donné, chaque enfant commence par répondre à une série de quinze questions. Le test permet de dresser un profil de l’élève et de lui attribuer le type d’activité le plus approprié. Pour le module sur la syntaxe, par exemple, si un élève fait plus de contresens que de fautes d’accord, il est orienté vers une série d’exercices réalisés dans une fausse langue, qui en le détournant du sens, lui permet de se focaliser sur la structure d’une phrase. Reste alors à déterminer l’enchaînement et le type de questions (texte, son, image…) le plus adapté à chaque élève. Pour cela, le logiciel s’appuie sur un algorithme de machine learning appelé bandit manchot, du même type que ceux utilisés dans les systèmes de recommandation. « L’IA est en quelque sorte au service des sciences cognitives. Nos modules sont d’abord structurés par les sciences cognitives et l’IA vient ensuite affiner cette structuration en fonction de chaque enfant pour le faire progresser le plus efficacement possible », commente Thierry de Vulpillières.
L’adaptive learning paraît promis à un bel avenir en France. Le ministère de l’Éducation nationale a d’ailleurs lancé en 2018 un appel à projets auprès des start-up des EdTech (technologies de l’éducation) et des laboratoires de recherche afin de fournir aux enseignants des outils s’appuyant sur des techniques d’intelligence artificielle pour la personnalisation de l’apprentissage du français et des maths au CP, CE1 et CE2. Une vingtaine de candidats ont postulé à ce partenariat, parmi lesquels Lalilo et EvidenceB kidscode. Fin avril, six lauréats (trois pour le français et trois pour les maths) devraient être désignés et voir à terme leur solution déployée dans les écoles françaises.
Julien Bourdet
Illustration à la une, Élèves utilisant la solution EvidenceB kidscode, @EvidenceB_Lita.co.