
Obvious : un collectif d’artistes bien inspirés par l’IA
⏱ 6 min[vc_row][vc_column][vc_column_text]Ils ont 25 ans, l’envie, des compétences en machine learning, le sens du commerce. De quoi faire le buzz en quelques mois autour de leurs tableaux créés par IA. Des tableaux dont le prix s’est envolé aux enchères ! Et le début d’une belle aventure.
C’est l’histoire de trois amis d’enfance qui rêvaient de monter un business ensemble après leurs études. Le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont en très bonne voie. Prudents, après le lycée, chacun est parti étudier de son côté : Hugo Caselles-Dupré, à Telecom SudParis et ENSAE ParisTech, Pierre Fautrel et Gauthier Vernier en école de commerce, respectivement à ESDES Lyon Business School et à IESEG School of Management, chacun se faisant la main sur des projets d’entrepreneuriat. « Le tournant a eu lieu quand j’ai fait mon master MVA à l’ENS Paris-Saclay en 2016, raconte Hugo Caselles-Dupré. C’est à cette étape de mon cursus que je dois le plus. C’est là que j’ai découvert le machine learning et les algos génératifs ou GAN (Generative Adversarial Network). À l’époque, tout le monde en parlait [les GAN ont été inventés en 2014, NDLR]. C’est à ce moment-là qu’on s’est retrouvés avec Pierre et Gauthier, et qu’on a sérieusement envisagé de faire quelque chose ensemble. Cela nous a paru logique de faire ça autour du machine learning. »
Rendre l’IA plus concrète
En voyant les résultats que donnent ces algos sur la création d’images de visages humains (voir ci-dessous l’illustration de l’évolution des capacités des GAN, tirée d’un rapport du MMC Venture), c’est décidé !
Ce sera un projet créatif. Ils choisissent de participer au mouvement en train de naître autour d’IA créatives. S’ensuivent de nombreuses discussions : les trois compères vivent ensemble en colocation et refont le monde tous les soirs. Que faire de nouveau avec cette idée sans innover sur le côté algorithmique, ce dont ils n’ont pas les moyens ? Et comment faire de l’argent avec cette idée ? Au cours de leurs discussions, ils questionnent la créativité de tels algos. Partant du principe que c’est l’humain qui choisit d’une part les données sur lesquelles ces derniers s’entraînent, d’autre part les résultats en sortie, peut-on considérer que ces algos imitent la créativité humaine ? Et à qui appartient l’image créée ?
« Nous nous sommes dit que c’était un bon moyen de faire comprendre au plus grand nombre que l’IA et le machine learning n’étaient pas de la science-fiction et des robots intelligents, mais des systèmes experts capables de résoudre des tâches ponctuelles, explique Hugo Caselles-Dupré. Et qu’un exemple concret d’IA, en l’occurrence de tableaux réalisées par GAN, serait peut-être l’occasion de démocratiser l’IA. » Pragmatiques, ils veulent aussi faire de l’argent avec cette idée pour pouvoir vivre de ce projet. Même si, pour l’heure, Hugo fait une thèse Cifre en machine learning à ENSTA ParisTech/ Softbank Robotics Europe, et si Gauthier travaille chez Energisme, une entreprise qui aide à l’optimisation de consommation énergétique, ils décident dès le départ de vendre leurs œuvres. Ils créent le collectif Obvious. « On est parmi les premiers à se présenter comme un groupe d’artistes vendant des œuvres créées par IA, poursuit-il. On s’assume comme artistes car on créé des objets qui incarnent le message que l’on veut faire passer ; nous n’avons aucune formation artistique, mais une certaine sensibilité et une culture artistique. »
À contre-pied des images digitales cantonnées aux écrans, ils choisissent de produire un objet physique, visible par tous dans des musées : ils mettent leurs œuvres en scène dans un cadre en or comme toute peinture digne de ce nom sauf que la signature est une formule mathématique, celle de l’algo qui a produit l’œuvre. « C’est une façon de questionner le public, pointent-ils. Qui est l’artiste ? Pour notre part, nous pensons que c’est nous, et non l’algo ! »
Concrètement, les trois amis utilisent l’algo de Ian Goodfellow, qu’ils entraînent avec un dataset de 15 000 portraits réalisés par des artistes du XIVe au XIXe siècle, issues de Wikiart. « Il s’agit d’abord de débuguer l’algo pour qu’il fonctionne, puis d’améliorer les hyper-paramètres (par exemple le nombre de couches du réseau de neurones) pour obtenir le résultat esthétique souhaité, de telle manière qu’on reconnaisse de suite que c’est un portrait, explique Hugo. Et le tour est joué ! » Enfin presque… Reste à se mettre d’accord sur la sélection de portraits à vendre. Question de goût… Les trois artistes IA en herbe doivent se mettre d’accord… « C’est simple, sourit Hugo : on s’engueule. Au final, chacun fait sa sélection puis on impose des critères objectifs comme d’avoir à la fois des portraits d’hommes et de femmes, de toutes les époques, etc. On a chacun nos coups de cœur aussi. » Au final, ils retiennent onze œuvres.
Du ridicule au succès
Le résultat est assez… flou. « On n’avait pas le choix ! Avec les moyens de calcul qu’on avait à l’époque (des serveurs loués sur la plateforme Amazon Web service), on ne pouvait pas mieux faire. Finalement c’est aussi très intéressant car très reconnaissable et identifiable du fait que ça interpelle. » Ambitieux, ils proposent leurs œuvres à la vente à 10 000 euros. Et pour se faire connaître, ils mettent un tableau aux enchères sur eBay. Échec total ! Aucune offre pendant une semaine… Pourtant l’idée se révélera visionnaire quelques semaines plus tard. En attendant, ils démarchent des galeries, des collectionneurs, des artistes… « On s’est énormément fait rembarrer ! Heureusement que dans le monde de l’art, les gens sont très ouverts… Il faut avouer que notre démarche frisait le ridicule ! Mais on a fait des rencontres incroyables. Notre côté candide, une bande de potes qui se fait plaisir et qui rêve, faisait son petit effet. »
Le premier à sauter le pas est Nicolas Laugero Lasserre, directeur de l’Institut des carrières artistiques (ICART), un collectionneur parisien qui expose une de ses collections dans l’École 42, et décide de leur acheter leur premier tableau. « Nicolas nous suit depuis maintenant un an, c’est devenu un ami ! C’est lui qui nous a fait confiance et nous a lancés. Après ce premier achat, on était en discussion avec d’autres acheteurs potentiels… quand Christie’s nous a contactés. »
Comment la célèbre maison d’enchères américaine est-elle tombée sur cette œuvre ? « En fait on vendait quelques brouillons sur des plateformes d’art digital qui utilisent des blockchains. Or il se trouve que Christie’s s’intéresse beaucoup à la blockchain, car c’est un moyen de sécuriser les transactions. Ils ont invité ces plateformes lors d’un événement et ont vu notre travail. » Banco ! Intéressés par l’émulation autour de l’IA et de l’art, notamment le fait que les œuvres du collectif soient tout à fait reconnaissables, Richard Lloyds, commissaire-priseur visionnaire, choisit de mettre une de leurs œuvres à l’honneur. La vente aux enchères a lieu en grande pompes le 20 août 2018, après un fort retentissement médiatique. Le portrait d’Edmond de Belamy (nom choisi en hommage à Goodfellow) est adjugé 432 500 $ à New-York ! Pour ne pas être en reste, Sotheby’s fera de même avec un autre artiste qui créé par IA.

Portrait d’Edmond de Belamy © Obvious
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La famille Belamy, de gauche à droite :
La Comtesse de Belamy, la Baronne de Belamy, Madame de Belamy
le Marquis de Belamy, le Cardinal de Belamy et le Duc de Belamy
© Obvious
[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]Des projets et des collaborations en perspective
« Nous avons vendu les autres œuvres de cette première série en Italie, en Inde, aux États-Unis, en France, à Hong Kong… (à 10 000 €), et nous en avons conservé trois que nous aimerions mettre dans des musées. Nous envisageons de divulguer notre prochaine série cet été. Ce seront des estampes japonaises que nous faisons réaliser par un artiste avec la technique du woodblock print, la technique traditionnelle japonaise très exigeante, à base de matrices de bois imprimées par couleur. La résolution est bien meilleure et le rendu bien plus agréable car nous avons maintenant les moyens. »
Les trois jeunes hommes sont aussi très ouverts aux collaborations, dans l’idée de mixer projets artistiques et business. « Des artistes et des marques nous sollicitent, comme un musicien pour faire la couverture de son album, le producteur d’une série TV pour réaliser le décor d’une saison, une marque de mode pour créer une collection de T-shirts ou de vestes. » Ont-ils la grosse tête ? A priori, non ! D’ailleurs, ils sont toujours en coloc. « On a été très clairs dès le début pour que cet argent ne crée pas de problème entre nous. Il nous permet de subvenir à nos besoins et on le réinvestit dans des projets sympas. Le principal est qu’on veut continuer à bosser tous les trois. Et on peut maintenant offrir des restau à nos potes, des voyages à nos copines… c’est cool ! »
Isabelle Bellin
Illustration à la une, Hugo Caselles-Dupré, Pierre Fautrel et Gauthier Vernier @ Obvious
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