À quoi ressemble la carrière d’un data scientist ?
⏱ 5 minDe la même façon que les start-up ont inventé de nouvelles façons de travailler, les data scientists bouleversent les codes professionnels. En seulement quelques années, les entreprises se sont mises au diapason et adaptent leur organisation pour attirer ces profils très convoités… et tenter de les garder, parfois en les laissant voyager.
Certifié « Happy at work »Ce label est décerné aux entreprises où les salariés s’épanouissent et se sentent heureux dans ce qu’ils font. Le palmarès est réalisé par le site meilleures-entreprises.com, garanti « Work and fun » (ou « Fun at work »), apéros en terrasse, vendredis drinks, weekly breakfast, week-ends à la campagne, événements annuels, cours de méditation, salles de sport très fournies ou ligne vestimentaire… autant de promesses que l’on trouve dans beaucoup d’annonces de recrutement en data science. Comme dans le Guide des entreprises qui recrutent en data d’Upward data, branche data du cabinet de recrutement Upward, dont l’éditorial affiche la couleur : « Face à ce marché ultrarapide et en pénurie, les entreprises doivent impérativement s’adapter pour parvenir à attirer les meilleurs. Seuls des processus rapides, où on n’hésite pas à réaliser une « danse du ventre » en fin de process, peuvent être concluants. »
Turn-over rapide
La carrière d’un data scientist commence donc souvent par une danse du ventre ! Cela ne veut pas dire, pour autant, que le recrutement soit une partie de plaisir (lire l’article « Entreprise cherche data scientist idéal et vice versa« ). Loin de là. Mais, ceux qui sortent d’une formation en data science, ou ont une première expérience, savent qu’ils sont convoités et qu’ils ont le choix. Résultat : dans ce marché très dynamique, le turn-over est rapide : « Il est de l’ordre de quatre ou cinq ans pour les data ingénieurs (lire l’article « data ingénieur : l’expert au plus proche de la donnée« ), précise Kawtar Benyoussef, consultante chez Upward data, à part en cas de problèmes managériaux ou de budget. C’est plutôt deux à trois ans pour les data scientists, sauf s’ils sont en R&D. C’est en général le temps nécessaire pour faire le tour des problématiques de l’entreprise. » Car le data scientist est curieux !
Et, puisqu’il peut travailler dans une diversité de secteurs, et qu’il sait qu’il est très demandé, il en profite. Il reste en place, à condition d’être motivé. « Je chercherai ailleurs quand je n’aurai plus de raison de me lever le matin, lance tout simplement Quentin Nollet, data ingénieur chez 1000mercis. J’aime découvrir et tester de nouvelles technos. Je suis depuis trois ans et demi chez 1000mercis. Je n’y suis jamais allé à reculons. Les problématiques et la très bonne ambiance me plaisent. »
Passion et motivation
Difficile tout de même de les tenir en poste plus de trois ans… « Pour un premier emploi, trois ans, c’est même un faible turn-over, considère Joseph Dureau, CTO de Snips. Surtout pour des juniors, tout juste sortis d’école, ceux que l’on recrute le plus, car ils sont aujourd’hui très bien formés. Ils sont même particulièrement convoités. » Et c’est difficile de les garder face à la concurrence des très gros comme Google ou Facebook qui font monter les enchères des salaires et ont installé leurs centres de recherche en plein Paris. « On a notre carte à jouer néanmoins, affirme-t-il, contrairement aux GAFAs, chez nous, chaque data scientist met en production le fruit de ses propres recherches ! Cela résonne beaucoup chez les candidats. On a, par ailleurs, un positionnement fort sur le respect de la vie privée, ça compte de plus en plus. »
De fait, les data scientists ne s’arrêtent heureusement pas au salaire. C’est d’autant plus vrai pour les docteurs, eux aussi de plus en plus demandés. « Ils sont souvent vocationnels, fait remarquer Amandine Bugnicourt, directrice associée du cabinet de conseil en recrutement de docteurs Adoc Talent Management. Ils sont très sensibles à la finalité du sujet, ils ont besoin d’être passionnés – le marketing digital les intéresse moins, par exemple, que des problématiques médicales ou l’aéronautique – et reconnus pour ce qu’ils apportent au produit. Ils aspirent également à être connectés à une communauté de chercheurs, à interagir avec d’autres experts. » Après plusieurs années d’expérience, ces docteurs d’un nouveau genre n’ont pas peur de devenir consultants indépendants. Une caractéristique spécifique à la data science.
Formation
Par ailleurs, un data scientist digne de ce nom est en veille permanente. Par goût et par nécessité. « C’est aussi ce qui fait le charme de ces métiers, avance Quentin Nollet, avec, entre autres, beaucoup de développements en open source. » Les entreprises misent donc aussi sur leur offre ou sur leur organisation pour accompagner cette montée en compétences. Certaines comme La Redoute ou Price Minister annoncent une journée hebdomadaire consacrée à cela, pour faire de la revue de code, se documenter sur des technologies, des outils, explorer de nouveaux langages, se former.
D’autres proposent de la formation continue comme fifty-five avec un programme d’une centaine d’heures. Chez Octo Technology, c’est un Graduate Program avec une formation en développement, un mentorat et une mise en application chez un client. Chez BCG Gamma, entité IA du Boston Consulting Group, ce sont des formations de trois jours avec des professeurs d’universités en Europe ou aux États-Unis sur des sujets techniques, comme Spark, l’optimisation stochastique ou les moteurs de recommandation. Le cabinet propose également des bourses d’étude sur certains sujets pointus. Deezer, pour sa part, met en avant ses meet-up, tenus une à deux fois par mois autour des dernières technologies, ses hackathons organisés deux fois par an ou ses coaches agiles qui rassemblent toutes les divisions chaque trimestre.
Culture globale
Le lieu de travail compte aussi beaucoup pour que ces talents hors norme, objets de toutes les attentions, s’épanouissent. De plus en plus d’entreprises créent des datalabs, des espaces réservés à l’innovation dans la data. « Nous avons créé une entité à part pour nos data scientists, confirme Sylvain Duranton, fondateur et directeur monde de BCG Gamma. C’est important, car ils ont une culture différente, ce qui se traduit dans leur façon de travailler, ou tout simplement par un code vestimentaire beaucoup plus décontracté que les autres consultants, ou le fait de travailler tous sur Mac. Par ailleurs, ils vivent et travaillent dans un monde global. On leur offre donc une fluidité complète entre nos différents bureaux internationaux : ils peuvent très facilement passer d’une ville d’Europe à une autre, idem aux États-Unis ou en Asie, en continuant à travailler sur leurs propres projets. » De plus en plus de data scientists se délocalisent ainsi.
Cette façon nomade de travailler est même désormais conceptualisée par des organismes comme Remote Year, dont le slogan est « Keep your job, see the world ! Leave the planning to us. » Autrement dit, ils s’occupent de tout pour permettre aux digital nomads, tous ces indépendants qui n’ont besoin pour travailler que d’une connexion internet (une bonne !), de faire un périple de quatre ou douze mois en passant un mois par ville en Amérique du Sud, en Europe, en Asie ou en Afrique. Pour 4 000 € puis 2000 € par mois, l’organisme leur promet un espace de coworking (75 personnes par programme), s’occupe des transports, du logement et même de propositions touristiques. « Ce n’est pas forcément facile d’organiser des missions à l’étranger, même quand on travaille pour des sociétés qui ont de multiples implantations locales, reconnaît Guillaume Cier, designer et développeur web indépendant qui envisage de partir quatre mois ainsi au printemps 2019. J’ai choisi de travailler à temps partiel pour avoir le temps de faire ce que j’aime à côté, de la musique, du dessin, de la photo… J’adore voyager, mais je n’ai pas forcément envie de passer un mois dans chaque ville en tant que touriste. En revanche, l’idée d’y travailler à temps partiel en m’imprégnant de la vie locale me plaît bien. » Car, outre le fait d’être être à l’aise en anglais, la condition sine qua non pour partir est d’avoir un emploi ou des clients.
Isabelle BELLIN