Data scientists : un process de recrutement sur mesure
⏱ 7 minComment s’y prennent les entreprises pour recruter des data scientists ? Une succession d’entretiens, de tests techniques, des études de cas d’usage, une Gamma night, quelques jours en immersion… les entreprises innovent en matière de recrutement pour trouver la perle rare. Quantmetry, SNIPS et BCG Gamma ont accepté de nous dévoiler leurs méthodes.
Les data scientists sont une espèce nouvelle, et même si bon nombre de formations ont vu le jour ces dernières années, le marché reste « pénurique », comme disent les cabinets de recrutement. Il tendrait à se stabiliser selon Upward data, branche data du cabinet de recrutement Upward. Ce même cabinet affirmait, dans l’édito de l’édition 2017 de son Guide des entreprises qui recrutent en data :« Nous avons travaillé sur plusieurs marchés dans le cadre de nos prestations de conseil en recrutement. Nous n’avons jamais vu un marché comparable. En un mot : c’est la guerre ! » Pénurie ou pas, le secteur de la data reste extrêmement dynamique, avec pas mal de turnover, mais aussi beaucoup de candidats qui tentent de surfer sur la vague, sans être tout à fait à la hauteur. « Nous recevons 40 à 50 CV de data scientists par semaine, affirme Benoit Robillard, un des responsables du département Recherche opérationnelle et data science d’Air France-KLM. Nous en sélectionnons environ 10 % pour un entretien. » Souvent, l’intitulé des CV n’a rien à voir avec les compétences attendues.
Des recrutements à part
Comment trier les experts en data science des autres ? Commet analyser ces compétences très théoriques et techniques doublées, notamment pour le data scientist pur, de bonnes capacités de communication et de pédagogie pour dialoguer avec les clients ou les experts internes métiers de leur entreprise, et pour accompagner avec enthousiasme sa transformation digitale. La data science est un monde à part avec son langage très anglo-saxon, sa panoplie de logiciels à maîtriser, ou ses intitulés de poste inconnus il y a encore quelques années – du data architecte au data ingénieur en passant par le data analyst, etc. (lire l’article « Entreprise cherche data scientist idéal et vise versa« )
Comment gérer le recrutement de ces profils si spécifiques ? Et comment évaluer, point probablement le plus difficile, la créativité ? Les responsables de ressources humaines (RH), d’habitude en première ligne, n’ont pas les compétences pour juger. Ils interviennent encore, en général au tout début ou à la toute fin du process, pour évaluer les motivations et les qualités humaines du candidat (c’est souvent le CEO qui assure ce rôle dans les start-up), mais le principal se passe ailleurs.
Un recrutement en data science, ce sont, en général, des tests (parfois à la façon des compétitions de Kaggle, en sélectionnant la « meilleure » solution, comme chez Accenture digital), des questions théoriques et techniques, des entretiens opérationnels avec les pairs, voire avec le CTO, des discussions autour de la résolution d’un cas d’usage, parfois des tests d’anglais ou une présentation orale des solutions… Cela peut prendre quelques heures à deux jours, et jusqu’à huit entretiens chez certains. Inversement, cela peut tourner court très vite : « On se rend vite compte quand le candidat n’est pas à la hauteur, affirme Pierre Colin, data scientist chez 1000mercis, qui vient de créer son entreprise, Nyctale. Deux ou trois questions, par exemple autour de définitions simples comme « apprentissage semi-supervisé », ou autour de descriptions d’algorithmes classiques peuvent suffire ! » De quoi disqualifier rapidement ceux qui s’affirmeraient data scientist sans l’être.
Multiplier les entretiens chez Quantmetry
Il y a souvent quatre ou cinq entretiens, comme chez Quantmetry. « Ce processus peut paraître lourd, admet Sacha Samana, data scientist chez Quantmetry depuis trois ans, mais c’est un gage de qualité. Les candidats sont vraiment challengés, ils savent qu’ils sont recrutés pour leur valeur, et ils acquièrent une bonne vue de nos problématiques métiers. Ils savent où ils mettent les pieds, et nous savons s’ils correspondent bien à nos besoins. » Le jeune homme, qui avait postulé dans pas mal d’entreprises et reçu plusieurs réponses positives, a d’ailleurs choisi Quantmetry en raison notamment de ce processus strict. « Ailleurs, je n’avais souvent eu que deux entretiens voire un seul, j’avais l’impression qu’ils ne m’avaient pas évalué ! »
Concrètement, chez Quantmetry, chaque candidat a d’abord un entretien RH avant de répondre à des questions théoriques de statistique et d’informatique et de faire un premier test technique chez lui sur la base de données et d’un cas d’usage appliqué. « On ne lui demande pas de trouver une solution, mais de dire comment il s’y prendrait, explique Sacha Samana. Côté mathématique, on analyse sa démarche, la façon dont il détaille les étapes, de la préparation des données à la modélisation. Côté code, on évalue sa façon de documenter ses choix, pour un code modulaire ou pas, avec quelle techno, etc. » Les candidats sont aussi challengés selon leur maturité, les attentes n’étant pas les mêmes pour un data scientist junior ou expérimenté.
Le processus, s’il se poursuit, a lieu dans les locaux de la jeune pousse. « On demande au candidat de restituer sa solution comme s’il était chez un client pour évaluer ses capacités de consultant. Nous jugeons également sa façon de s’exprimer, sa précision, sa concision et ses capacités de vulgarisation, les outils de visualisation qu’il utilise… », précise Sacha Samana. Si c’est concluant, s’ensuivent deux entretiens pour approfondir d’une part le côté théorique et technique, d’autre part le côté conseil. Pour la partie théorique, il s’agit, selon les profils, de questions de statistique, de machine learning, de deep learning pour les data scientists, plus orientées big data et manipulation de données pour les data ingénieur ou data architecte, cela autour de technologies anciennes ou récentes. « Pour la partie conseil, sur la base d’un cas d’usage, on vérifie que le data scientist se pose les bonnes questions par exemple sur des données manquantes, comment il décrit la réalisation du projet, son cadrage, les étapes… », poursuit-il. Si tout se passe bien, un dernier entretien a lieu avec le CEO.
Atteindre l’immersion chez SNIPS…
Autre pratique, celle de SNIPS, unique en son genre semble-t-il : une immersion de deux jours dans l’équipe. « En quatre ans, nous avons recruté environ vingt-cinq data scientists ainsi, souligne Joseph Dureau, CTO de SNIPS. C’est une marque forte de séduction : en général, les candidats adorent, ils apprécient l’énergie, les relations plus personnelles qu’ils commencent à tisser, ils découvrent l’environnement dans lequel ils travailleraient, etc. C’est un gage de confiance des deux côtés. »
Revenons au début du processus : cela passe d’abord par un ciblage des candidats via un questionnaire écrit de la plateforme de recrutement Welcome to the Jungle. Ceux qui sont retenus reçoivent un challenge technique (adapté selon le poste requis, du data scientist au data ingénieur, data juriste, etc.) auquel ils doivent répondre en une semaine. « Nous jugeons leur créativité et leur rigueur, explique Joseph Dureau. Peu importe le temps qu’ils y passent, c’est la touche personnelle qui compte, l’originalité de la solution. » Les data scientists doivent produire un rapport pour détailler leurs hypothèses.
Dernière étape, cette fois en présentiel (ou par Skype) : une discussion autour des choix retenus pour le challenge, de certains points théoriques, des questions sur leur parcours. « On voit si on parle le même langage, si le candidat est réactif, poursuit-il. C’est à ce stade, si c’est concluant, qu’on l’invite à venir passer deux jours dans nos locaux. On lui redonne un problème (déjà résolu pour que ce ne soit pas du travail gratuit), à résoudre cette fois en mode hackathon. Une solution doit tourner au bout de deux jours. Le candidat peut poser des questions à toute l’équipe, bénéficier des conseils et du regard critique des autres, comme ça se pratique au quotidien. Une personne le suit plus particulièrement, et évalue la vitesse à laquelle les idées percolent, sa réactivité, s’il entend les conseils… » Il reconnaît que le processus est long mais, à son avis, moins pénible que de nombreux entretiens.
… ou la Gamma night chez BCG Gamma
Chez BCG Gamma, entité IA du Boston Consulting Group créée voici trois ans et qui compte déjà 500 data scientists (un tiers en Europe, un tiers en Amérique, un tiers en Asie), les futurs recrues passent pas mal de tests et d’entretiens : « Ils doivent être à l’aise pour évoluer dans le monde corporate, nos clients étant de grandes multinationales, explique Sylvain Duranton, fondateur et directeur monde de BCG Gamma. Ils doivent être capables de construire des solutions fonctionnelles en quelques mois, de travailler en équipe dans un environnement d’agilité et d’ambiguïté, au sens où la définition du produit évolue au quotidien en interaction avec le client, et ressemble rarement à la commande initiale. »
BCG Gamma profite du rayonnement de sa maison-mère, avec une vingtaine de bureaux en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, en Asie et en Australie. Le recrutement se passe d’abord dans le pays d’origine des candidats avec, d’une part, une évaluation « conseil business », comme pour les autres consultants de BCG, mais en seulement 2 ou 3 tests au lieu de 6 à 9 (le candidat réagit à des cas réels de l’entreprise) ; d’autre part, une évaluation data science. Celle-ci comporte trois séries de tests techniques : d’abord, un test data science (mélange d’algorithmique et de Python), puis un home assignment, un problème à résoudre en quelques heures sur la base d’un jeu de données orienté plutôt machine learning, ou plutôt optimisation, selon les profils. Le candidat doit ensuite présenter oralement sa solution à un des consultants de BCG Gamma. Enfin, il est soumis à des entretiens data science pour évaluer sa réactivité dans ce domaine, encore une fois sur des cas réels.
« Avec ce processus, on mesure les compétences techniques mais aussi le fit culturel des candidats avec BCG Gamma, assure Sylvain Duranton. Le dernier tour de notre processus réunit cette fois une petite quinzaine de candidats pour une série de quatre ou cinq entretiens avec des data scientists de BCG Gamma. On les rassemble dans un de nos bureaux européen ou américain (le trajet en avion est financé) au cours de ce que nous appelons une Gamma night. Le processus est fonctionnel en Europe (une quinzaine ont eu lieu cette année) et aux États-Unis (avec des Gamma night East Cost et West Coast). Cette dernière étape sélective est un moment fort d’échange, et nous garantissons une réponse le lendemain. »
Externaliser les tests
Mais comment faire lorsque l’on ne dispose pas d’équipe de data scientists ? Des entreprises peuvent se charger de tester les candidats, comme Quantmetry, qui a standardisé des tests pour jauger le niveau d’un data scientist. Autre solution, celle mise en place par la société de conseil en ingénierie logicielle Xebia pour le recrutement des premiers data ingénieurs de ses clients : les accompagner… « Je les conseille au sujet des compétences de leurs candidats du point de vue technique, théorique », explique Sylvain Lequeux, data ingénieur chez Xebia. Une pratique qui paraît étonnante de prime abord. « Nous n’avons pas vocation à rester cinq ans chez nos clients sur un même projet. Lorsqu’il y a moins besoin d’innover, on aime leur rendre la main, les aider à prendre le relais et à devenir autonomes. On peut se le permettre, car on a beaucoup de demandes », conclut-il.
Isabelle BELLIN