Le Medtechlab de Saint-Étienne veut prévenir la fragilité par la simulation
⏱ 4 min[vc_row][vc_column][vc_column_text]Cet espace reproduisant l’appartement d’une personne fragile permet un suivi en temps réel de son comportement. De quoi expérimenter diverses solutions, notamment en développant des modèles de prédiction de la fragilité.
Le MedtechlabLe Medtechlab est le fruit d’une collaboration entre Eovi Mcd Mutuelle, Eovi Mcd Santé et services (qui gère établissements et services sanitaires, médico-sociaux et sociaux : des cliniques, des centres de santé et des Ehpad, des services pour personnes handicapées), le Groupe Aésio (union mutualiste de groupe) et l’École des Mines de Saint-Étienne., associé aux Mines de Saint-Étienne, a ouvert ses portes à Saint-Étienne en juin 2019 (lire encadré « Un lieu de recherche et développement »). Il comporte un living lab, comme on les appelle, un appartement d’environ 60 mètres carrés équipé d’une dizaine de capteurs non intrusifs, en général bien acceptés par les personnes âgées : un capteur de présence (infrarouge) par pièce et un capteur par ouvrant (accéléromètre). Beaucoup d’équipes en France et dans le monde créent des living labs, ou équipent des logements de capteurs, dans le but d’analyser le comportement de leurs habitants. La plupart le font selon une démarche de court terme, pour donner l’alerte lorsqu’un comportement inhabituel ou une chute est détectée.
« Nous visons, pour notre part, la prédiction en cherchant à détecter des changements de comportement de long terme sur la base de signaux faibles [ces facteurs de risque encore indécelables cliniquement, NDLR] détectés dans l’activité de tous les jours d’une personne seule, explique Guillaume Gardin, directeur de l’innovation, de la recherche et du développement d’Eovi Mcd Santé et Services. L’analyse de telles « déviations » est d’ores et déjà mise à profit dans l’industrie par exemple pour suivre une chaîne de fabrication à partir de machine learning ou d’exploration de processus (process mining). L’idée est de faire cela dans le cadre d’un suivi de comportement humain. »
Reconstituer un jumeau numérique
« Nous avons développé toute la chaîne de données, à partir des capteurs qui les collectent, de leur qualification jusqu’aux algorithmes qui nous permettent de reconstituer le cycle de vie de la personne avec toutes ses habitudes de vie quotidienne, ses activités propres que ce soit pour le sommeil, les repas, la toilette, la prise de médicaments, etc. ajoute Vincent Augusto, professeur aux Mines de Saint-Étienne. Nous utilisons une approche de jumeau numérique (ou digital twin), un type de modèle alimenté par les données en temps réel qui permet de simuler différents scénarios d’évolution de l’activité de la personne, donc de prédire l’apparition de la fragilité. Les jumeaux numériques sont couramment utilisés dans l’industrie 4.0, par exemple pour prédire l’évolution d’une chaîne de production. Au lieu de travailler sur des données historiques, nous travaillons sur les données quotidiennes voire horaires de chaque personne, analysées automatiquement : cet apprentissage par renforcement devra être mené a priori sur 3 à 6 mois selon les tests que nous avons pu faire à partir de données de la littérature issues de living labs américains. »
Les chercheurs utilisent des techniques de reconnaissance de forme pour identifier et labelliser les habitudes de vie de la personne, des graphes pour représenter certains aspects complexes non déterministes de son comportement et des modèles à base de réseaux de Petri pour la simulation du comportement. « Prenons l’exemple de la vitesse de marche, propose Vincent Augusto : grâce à nos capteurs, nous analysons les déplacements habituels de la personne, nous en déduisons une vitesse de marche dont nous pouvons projeter les évolutions possibles sur 6 mois. Ce qui nous permet de prévenir qu’une fragilité risque d’apparaître (quand la majorité des scénarios évolue vers une vitesse au-dessous des seuils définis par les cliniciens comme fragiles). Idem pour le lever de chaise. Ainsi, nous sommes capables de prédire l’apparition de la fragilité avec tant de confiance (tel pourcentage). » L’intérêt de cette solution est qu’elle est personnalisée. L’inconvénient est que les chercheurs ne peuvent pas certifier qu’elle reste valable en présence d’une autre personne ou d’un animal de compagnie.
Une étude clinique en cours
Pour tenir compte des différents paramètres influençant la fragilité, la simulation couple différentes capacités : l’organisation de la journée renseigne sur la fragilité cognitive, la vitesse de marche est un des marqueurs de la fragilité physique, les temps de repas qualifient la nutrition, le nombre de visites permettent d’évaluer l’isolement social, etc. Les résultats sont encourageants (1, 2). « Après avoir été testés au living lab, nous préparons l’étude clinique de nos algorithmes avec les CHU de Lyon et de Saint-Étienne, précise Guillaume Gardin. Nous sommes en train d’équiper avec nos capteurs 10 foyers, des appartements en environnement réel, dont deux chambres de la Cité des aînés, l’établissement pour personnes âgées conçu par Eovi Mcd Santé et Services, à Saint-Étienne, dans lequel nous expérimentons les solutions conçues au Medtechlab. Nous prévoyons également d’évaluer l’acceptabilité de notre solution d’ici à fin 2020. Puis de passer à l’échelle supérieure, avec une étude clinique dans une centaine de foyers en 2021 pour commercialiser la solution en 2022. »
(1) C. Azefack, R. Phan, V. Augusto et X. Xie. « An Approach for Behavioral Drift Detection in a Smart Home. IEEE 15th International Conference on Automation Science and Engineering (CASE) », Vancouver, BC, Canada, 2019.
(2) C. Azefack, R. Phan, V. Augusto, X. Xie, G. Gardin, C. Montuy-Coquard, R. Bouvier, « Digital Twin: A Data Driven Modeling of Human Behavior in a Smart Home ». Proceedings of the 2019 Winter Simulation Conference.
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Un lieu de recherche et développement
Le Medtechlab est ouvert aux chercheurs, ingénieurs, professionnels de santé, entreprises, start-up… pour concevoir et tester idées et prototypes d’outils et de services de santé. Outre les capteurs de mouvement, il comporte du mobilier innovant, par exemple un lit intelligent. Conçu par design thinking et destiné à devenir le mobilier courant des Ehpad, ce lit regroupe beaucoup de nouveaux outils comme des capteurs d’acquisition de la respiration et du rythme cardiaque, des capteurs de poids ou encore un système de surveillance de la qualité du sommeil.
Certains de ces équipements peuvent être mis à profit pour détecter la fragilité. « De fait, les troubles du sommeil sont souvent révélateurs de fragilité cognitive, précise Guillaume Gardin, codirecteur du Medtechlab. La plupart de ces capteurs, non intrusifs car placés sous le sommier, sont très basiques. En analysant leurs données par machine learning (en classification supervisée), nous pouvons renseigner les praticiens et leur permettre de détecter des informations qui leur échappent en général. » L’objectif est ambitieux : se rapprocher de l’analyse de référence en matière de troubles du sommeil, le polysomnographe, où la personne est bardée d’électrodes sur le visage et le corps. Un essai clinique devrait être lancé en 2020 pour le vérifier.
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Isabelle Bellin
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