Des lunettes pour détecter la fragilité
⏱ 5 min[vc_row][vc_column][vc_column_text]Des chercheurs de l’université Côte-d’Azur développent, avec la start-up Ellcie-Healthy, des lunettes connectées capables d’évaluer le comportement en continu d’un individu au travers de ses mouvements pour déceler une dégradation. De quoi anticiper un risque de chute.
Et si vos lunettes vous sauvaient la vie ? C’est le credo d’Ellcie-Healthy, une start-up créée en 2016 par Philippe Peyrard pour développer des lunettes intelligentes et connectées, déjà plusieurs fois primée. « Pour l’instant, nos lunettes (4 modèles, 5 couleurs) sont distribuées depuis le printemps 2019 par le réseau Optic 2000 pour détecter l’hypovigilance au volant à partir de l’analyse des bâillements, des micro-chutes de tête, de la fréquence de fermeture des paupières, explique Andrea Castagnetti, directeur de la recherche d’Ellcie-Healthy. Toute l’électronique est logée dans les branches et la face de la lunette [15 capteurs : accéléromètre, gyroscope, capteur de température, de pression atmosphérique, etc., voir la figure ci-dessus] et la monture pèse moins de 30 grammes. Nous travaillons sur d’autres cas d’usage dont l’aide aux aveugles et malvoyants, la détection de pollution, de stress (par électrocardiogramme) ou encore la détection de chute, et bientôt la prévention de la fragilité. »
Des lunettes bardées de capteurs, l’air de rien
La paire de lunettes avec ses capteurs, son microprocesseur, son unité Bluetooth pour transférer les données en temps réel vers un smartphone ou tout autre moyen de communication, sa batterie constitue la base de la plateforme matérielle. Une plateforme évolutive, via des mises à jour logicielles. Elle permet d’ores et déjà d’alerter en cas de chutes, brutales ou molles, grâce à sa centrale inertielle : un accéléromètre, un gyroscope et un capteur de pression atmosphérique dont la résolution de 50 centimètres permet de savoir si la personne est debout, assise ou au sol. Cette fonctionnalité s’adresse aux personnes âgées mais aussi aux personnes atteintes de maladies chroniques (diabète, atteintes neurologiques et neuromusculaires…), aux travailleurs isolés, aux sportifs, etc.
Prochaine étape : le suivi de la fragilité pour alerter en cas de diminution des capacités fonctionnelles (lire l’article précédent sur la quantification de la fragilité). « Avec le laboratoire Motricité humaine, expertise, sport, santé (Lamhess) de l’université Côte-d’Azur et le CHU de Nice, dans le cadre du projet Seefall, soutenu par la Fondation MAIF, nous développons un algorithme d’intelligence artificielle (IA) pour mesurer les capacités fonctionnelles d’une personne âgée et alerter en cas de dégradation », explique Andrea Castagnetti. L’équipe a déjà pu valider (1), sur un test de lever de chaise, marqueur bien connu d’évaluation de la fragilité, que ces lunettes connectées permettaient d’obtenir des résultats comparables aux tests standards de laboratoire, lourds et coûteux, basés sur des capteurs d’analyse de mouvements.
L’originalité de la démarche réside dans le traitement des données. « Nous améliorons nos algorithmes en expérimentant les lunettes notamment dans le cadre de la plateforme Fragilité de l’université Côte-d’Azur (voir encadré), explique Serge Colson, professeur à l’université Côte-d’Azur. La première étape de validation a été menée sur une population saine ; une deuxième phase, en cours, concerne une centaine de personnes âgées dont une trentaine non chuteuse, les autres étant séparées en deux groupes qui bénéficieront d’activités et de prise en charge innovantes pour en évaluer la pertinence. »
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La plateforme Fragilité du CHU de Nice
« Cette plateforme, créée en 2014, a trois objectifs, explique Frédéric Chorin, son directeur scientifique : évaluer les capacités fonctionnelles de personnes dans le cadre de soins en collaboration avec des kinésithérapeutes et l’équipe médicale, mener des projets de recherche sur l’évaluation de la fragilité avec le Lamhess (une vingtaine sont en cours sur la fragilité), enfin, tester des dispositifs innovants autour de la détection de la fragilité avec des start-up, comme les lunettes d’Ellcie-Healthy ou l’AbilityCare d’Engie (lire l’article sur le sujet). » Elle comporte de coûteux équipements comme un ergomètre isocinétique pour mesurer puissance, force, vitesse et fatigabilité des bras et des jambes, un système de détection optique pour analyser la marche en mesurant le temps de contact au sol, le temps de balancement, la longueur du pas, la cadence, la vitesse de marche…, ou encore un tapis de marche avec une plateforme de force pour faire des analyses quantifiées de la marche. De quoi faire un bilan fonctionnel très précis des capacités des patients.
« Initialement destinés à l’évaluation des sportifs de haut niveau, nous utilisons ces équipements d’évaluation et de soins pour mesurer la fragilité de personnes âgées en comparant nos résultats à l’Évaluation gériatrique standardisée (EGS), poursuit Frédéric Chorin. Nous avons évalué plus de 1 000 personnes cliniquement, dont environ 700 dans le but d’identifier de nouveaux marqueurs de la fragilité, plus précis ou permettant une évaluation plus rapide, ainsi que de nouvelles activités réadaptatives. Par exemple, la puissance musculaire du quadriceps serait un critère plus précis que la mesure habituelle de la force de préhension. » La fragilité sociale ainsi que psychologique sont aussi étudiées en collaboration avec le Lamhess.
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Des lunettes personnalisées grâce à des algorithmes
« Pour l’instant, nous entraînons nos IA sur des données globalisées pour identifier les types d’activités – être debout, assis, couché, marcher, monter ou descendre un escalier, précise Andrea Castagnetti. C’est un travail de classification des données accélérométriques et inertielles de la lunette que nous menons notamment au moyen de réseaux de neurones supervisés. Pour cela, nous avons développé des outils pour labelliser en temps réel les données obtenues sur la plateforme Fragilité grâce aux enregistrements vidéo. Notre but, à terme, est que la lunette soit personnalisée, et capable d’apprendre, à partir de données non labellisées avec des algorithmes semi-, voire non-supervisés, alimentés en continu par les données personnelles de comportement de chacun. Et avec le moins de données possible et des algorithmes peu énergivores pour pouvoir tourner dans le microprocesseur de la monture, avec une recharge toutes les 24 heures. »
« Nous avons étudié sur une quinzaine de personnes comment se comporte la courbe d’apprentissage de nos algorithmes semi supervisés lorsqu’on les entraîne avec 5 ou 10 minutes de données labellisées, poursuit-il. On constate une efficacité de classification qui peut atteindre 80 % en purement non-supervisé contre plus de 90 % en purement supervisé. Des chiffres comparables aux algorithmes de reconnaissance de caractères ou d’images. » Sans surprise, les chercheurs constatent d’ailleurs bel et bien des différences interpersonnelles notables, liées par exemple à la façon de marcher. « Pour l’instant, nous lissons le fonctionnement du système sur la majorité des personnes, pour le personnaliser ensuite sur chacun », ajoute Andrea Castagnetti. Les résultats de cet ambitieux projet de recherche sont attendus d’ici février 2022.
(1) Hellec, F. Chorin, A. Castagnetti, S.S. Colson. “Reproducibility and Reliability of Embedded Inertial Motion Sensors Integrated to Smart Eyeglasses During Sit-to-Stand Test”,in1st International Conference on Human Interaction & Emerging Technologies. Université Côte d’Azur, Nice. 22-24 août, 2019.
Image à la une : Toute l’électronique est logée dans les branches et la face de la lunette © Ellcie-Healthy
Isabelle Bellin
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