Mimer l’apprentissage de l’enfant
⏱ 3 minPlutôt que s’escrimer à créer des robots directement dotés des capacités souhaitées, mieux vaudrait les laisser apprendre d’eux-mêmes comme le font les petits humains. C’est en tout cas le crédo des chercheurs en « robotique développementale »…
En 1950, Alan Turing, l’un des pères fondateurs de l’informatique, écrivait déjà que pour rendre les machines intelligentes, il faudrait d’abord copier l’intelligence des enfants. Autrement dit, plutôt que d’essayer de créer directement un robot doté d’une « intelligence adulte » avec langage, raisonnement et connaissances… il serait peut-être plus efficace de le doter de mécanismes d’apprentissage similaires à ceux des enfants. Comment ? En le dotant d’un « cerveau » qui va lui-même apprendre et développer ses capacités cognitives et sensorimotrices au contact de son environnement, tout comme le fait un bébé qui joue. Un raisonnement qui semble logique, l’humain ne naissant pas avec une science infuse codée par ses gènes ! « L’idée est notamment que le robot fasse lui-même le lien entre ses actions et ses perceptions tirées de l’exploration de son environnement : par exemple qu’il fasse la connexion entre tel mouvement de son bras et l’impact que cela a sur son le reste de son corps et sur ce qui l’entoure « , explique Rodolphe Gelin, directeur scientifique chez SoftBank Robotics qui développe les célèbres robots humanoïdes NAO, Pepper et Romeo.
Pour y parvenir, il faut inculquer au robot des algorithmes modélisant les mécanismes de l’apprentissage de l’enfant. « L’objectif est de lui permettre d’apprendre continuellement une diversité de nouvelles tâches sur des semaines ou des mois, de manière autonome sans l’intervention d’aucun ingénieur », résume Pierre-Yves Oudeyer, directeur de recherche à l’Inria. Ces algorithmes peuvent reposer sur du deep learning, du metalearning, de l’apprentissage par imitation de l’homme ou bien encore des algorithmes d’apprentissage par renforcement intrinsèquement motivé inspirés de mécanismes mis en œuvre dans la curiosité de l’enfant. Pierre-Yves Oudeyer et son équipe ont par exemple inculqué des algorithmes de ce type à leur robot Poppy Torso qui ne connaissait absolument rien de son « corps » au départ. Grâce à eux, il se fixe lui-même des buts lui permettant de gagner toujours davantage d’informations sur son environnement. En seulement quelques heures, il a par exemple appris tout seul à utiliser ses mains pour manipuler des joysticks, puis à actionner ces joysticks pour faire bouger une grue. Et avec cette dernière, Poppy Torso est parvenu tout seul à déplacer une balle dans toutes les directions possibles !
Tout apprendre tout seul
« Nous possédons un laboratoire entièrement dédié à la robotique développementale qui emploie trois chercheurs permanents et quatre thésards », indique pour sa part Rodolphe Gelin. Ici, les robots apprennent par exemple à se relever tous seuls. Les chercheurs les font bouger de façon aléatoire…et au bout d’un moment, ils doivent « comprendre » eux-mêmes qu’en déplaçant leur bras de telle manière, ils peuvent se tourner sur le côté pour se relever.
Grâce à la robotique développementale, les chercheurs de SoftBank souhaiteraient aussi qu’un robot apprenne seul à marcher de manière très fluide. Certes, la marche des robots humanoïdes s’est grandement améliorée comme le montre cette récente vidéo de Boston Dynamics. Mais elle reste encore un peu saccadée. Aujourd’hui, l’apprentissage de la marche repose encore essentiellement sur des algorithmes classiques déjà vieux de 20-30 ans, tels les Zero Moment Point (ZMP) développés par le chercheur japonais Shuuji Kajita. Basés sur un modèle dynamique du robot, ces ZMP lui indiquent en permanence la commande à effectuer pour déplacer son centre de gravité afin qu’il ne perde jamais l’équilibre.
Les ingénieurs de SoftBank Robotics comptent aussi sur la robotique développementale pour que leurs robots adaptent leur marche au fil du temps, en fonction du vieillissement de leurs moteurs et autres engrenages ! Au final, l’objectif est donc bien que le robot puisse apprendre seul tout ce qu’on veut : se relever, marcher, attraper n’importe quel objet, sauter, communiquer, etc. « Ces recherches s’avéreront précieuses pour les robots d’assistance à domicile à qui les divers membres du foyer demanderont souvent d’accomplir de nouvelles tâches, le tout dans des pièces où les objets et autres meubles peuvent changer de place « , conclut Pierre-Yves Oudeyer enthousiaste.
Jean-Philippe BRALY