De nouveaux outils pour évaluer les capacités et la charge mentale
⏱ 6 min[vc_row][vc_column][vc_column_text]Jauger la vigilance d’un conducteur de voiture, d’un pilote d’avion, détecter l’état de fatigue opérationnelle d’un militaire, le surentrainement d’un sportif, la fragilité d’un senior… Il y a de nombreuses raisons de s’intéresser à l’analyse de l’état physiologique, psychologique, sensoriel ou moteur de l’homme.
Comme sur cette image, de plus en plus d’auto-écoles mettent à disposition de leurs élèves des simulateurs de conduite 3D pour les confronter aux situations d’urgence et leur apprendre les bons réflexes. On pourra bientôt faire beaucoup plus avec ces simulateurs, notamment grâce à des caméras pour surveiller où se porte le regard du conducteur avec des algos d’eye tracking : de quoi mieux identifier ses difficultés et adapter la simulation en conséquence, mieux évaluer sa progression mais aussi transférer son dossier d’une auto-école à une autre. L’étape suivante, à court ou moyen terme, sera de faire ces mesures en situation réelle, sur la route. « Nous avons développé des systèmes qui couplent l’analyse de l’environnement du véhicule et celle de regard du conducteur pour s’assurer qu’il a bien vu ici la moto qui double, là le piéton qui s’engage ou la voiture en face », explique Renaud Séguier, enseignant chercheur de CentraleSupélec à Rennes, responsable de l’équipe FAST (Facial Analysis, Synthesis & Tracking). La balle est dans le camp des équipementiers.
Scruter la fatigue
Tous les constructeurs travaillent dans ce domaine très porteur de l’assistance à la conduite pour préparer l’avènement des véhicules autonomes. Certaines solutions sont déjà opérationnelles : dans les voitures de luxe, une caméra est capable de détecter les clignements des yeux du conducteur et de déclencher une alarme en cas de perte de vigilance. Cela devrait être en série dans quelques années. Des analyses plus fines encore de la vigilance du conducteur sont en cours : il s’agit de détecter sa fatigue à partir des images de son visage en les comparant à l’activité électrique de son cerveau. Aujourd’hui ces mesures sont faites via des électrodes placées sur le cuir chevelu. Un jour, elles proviendront peut-être de nos appuis-tête équipés d’électrodes sèches. Autre exemple : PSA travaille depuis plus de 10 ans avec l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) pour estimer l’état émotionnel du conducteur, évaluer son attention et sa distraction grâce à l’analyse de ses expressions faciales ou de son état physiologique, en mesurant ses rythmes cardiaque et respiratoire à partir d’images vidéo du visage éclairé sous infrarouge.
Détecter l’esprit qui divague
« Le même type de développements est mené en aéronautique et devrait bientôt se concrétiser dans les cockpits, ajoute Stéphane Buffat, médecin militaire et chercheur à l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA). Cela fait plus de 15 ans que nous travaillons sur l’amélioration des interfaces pour adapter les cockpits aux pilotes d’avions ou d’hélicoptères. Depuis 4 ou 5 ans, avec la quantité de données que nous pouvons collecter, leur numérisation et les développements algorithmiques, nous sommes capables de proposer une analyse prédictive, comme on le fait pour le matériel dans le cadre de la maintenance prédictive : mesurer certaines dimensions du comportement humain n’est pas plus compliqué que suivre en temps réel un réacteur d’avion ! »
En suivant les mouvements des yeux, des mains et des pieds dans le simulateur, la fréquence cardiaque, la voix…, ce monitoring du pilote doit permettre de mesurer des variables corrélées à son état mental et psychologique pour évaluer sa capacité de réaction, son « niveau de ressources » face à des situations complexes et risquées comme des conditions météo dégradées, une perte de visibilité, des pannes inconnues. « Le but, à terme, est de concevoir des interfaces homme-machine adaptatives pour alerter le pilote ou modifier l’affichage des informations pour l’aider à reprendre le contrôle si l’on détecte une perte de vigilance ou un « effet tunnel », ce phénomène qui peut réduire les capacités de réaction d’un pilote face aux signaux d’alerte » explique Stéphane Buffat qui mène ces recherches avec l’unité mixte de recherche Cognac-G (Université Paris-Descartes-CNRS-Ministère de la Défense) et Thales Training Simulation. On observe ces pertes de vigilance par exemple dans le cas des pilotes experts lorsqu’ils passent « en mode automatique » lors de taches faciles. Comme nous le faisons parfois au volant de notre voiture sur un parcours bien connu. Les chercheurs tentent de détecter en temps réel si le pilote entre dans cette phase de « désengagement ». A terme, le deep learning pourrait même permettre au cockpit de garder en mémoire le comportement de chaque pilote pour s’adapter à chacun affirmait Christian Jutteau, directeur technique de Thales Training Simulation, dans un récent article de l’Usine nouvelle.
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La qualité de la donnée est primordiale
Dans ce domaine du human analytics le choix et le traitement des données supposent une collaboration pluridisciplinaire entre médecins, neurophysiologiste, psychologues en plus des ingénieurs, informaticiens, mathématiciens et spécialistes en traitement du signal. « Il faut collecter des données « propres », non contaminées par des bruits électroniques générés par l‘environnement, issues de capteurs adaptés à la variable à mesurer (fréquence cardiaque, fréquence respiratoire, mouvement oculaire, etc.), explique Pierre-Paul Vidal, directeur de l’UMR Cognac-G. Il faut aussi enregistrer ces données de façon synchronisée, les colliger dans des bases de données indexées par des experts. Ensuite, et seulement ensuite, on peut tenter de les faire parler en trouvant les algorithmes prédictifs qui reproduisent les avis des experts. » Les chercheurs utilisent soit des capteurs sur la personne, des wearables (bracelets, casques, électrodes, bandeaux…), soit des capteurs ambiants (caméras, micros ou revêtements capables de capter des paramètres physiologiques). Il faut souvent mettre au point les capteurs pour disposer des données brutes car les constructeurs ne les divulguent pas. Cette étape matérielle peut être longue. Pierre-Paul Vidal reconnait que, dans le cadre de ses recherches avec Thales Training Simulation, il a fallu 3 ans pour concevoir une plateforme qui comporte plusieurs dizaines de capteurs.[/vc_cta][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]Ces problématiques de « divagation de l’esprit » intéressent de nombreux domaines, à chaque fois qu’il faut être capable de prendre des décisions in extremis, en cas de problème, alors qu’une interface contrôle tout. Ce sera le cas dans une voiture autonome – la réaction du conducteur devra intervenir dans les 100 ms -, dans un avion ou un hélicoptère – en quelques minutes – mais aussi dans des contextes industriels, par exemple lors d’un accident dans une centrale nucléaire avec, a priori, un temps de réaction un peu plus long.
Tout ce que raconte un manque d’équilibre
Un autre type de mesures de capacités, autour de l’équilibre statique et de la mobilité, ouvre la voie à une véritable médecine préventive, notamment pour les seniors. « Grâce à notre dispositif « smart check », nous sommes capables de détecter de façon objective la pré-fragilité ou la fragilité des seniors, un syndrome clinique, dont les critères ont été précisés par L. Fried, qui permet de dépister les personnes âgées avant qu’elles ne risquent de chuter et/ou de perdre leur autonomie », explique Pierre-Paul Vidal, neurophysiologiste, directeur de l’UMR Cognac-G. Le patient est équipé d’accéléromètres sur les pieds, le tronc, la tête et les bras et un eye tracker suit son regard. Son équilibre statique est testé sur une « plateforme de force », évalué d’abord yeux ouverts pendant trente secondes, puis yeux fermés pendant la même durée. Sa mobilité est quantifiée lors d’une marche sur dix mètres aller et retour et lors de son demi-tour. Des tests cognitifs, une mesure de la force de préhension et des questions sur la nutrition complètent l’évaluation. « Nous suivons ainsi plus de 150 personnes de plus de 60 ans à la Réunion dans le cadre du projet Smartcheck en partenariat avec la Caisse générale de sécurité sociale de la Réunion, le département de la Réunion et la SATT IDF Innov », précise-t-il. Ce système de dépistage et de suivi des états pré-fragiles et fragiles devrait être généralisé dans quelques années s’il s’avère performant.
La fragilité n’est pas l’apanage des seniors. Elle concerne tous les sujets lorsque les capacités physiques et mentales sont trop sollicitées pendant trop longtemps, que ce soit dans un cadre professionnel (surcharge jusqu’au burnout), un cadre sportif (surmenage jusqu’au surentrainement) ou un militaires (syndrome de stress post traumatique après une mission). Comment estimer cette charge mentale ? « Nous tentons de la caractériser via ces mesures d’équilibre statique et dynamique avec cette même plateforme de force, précise Stéphane Buffat de l’IRBA. Le but est d’identifier les bons paramètres comme une hésitation dans la marche, une démarche plus saccadée, une altération de l’instantanéité. » La prosodie, l’expression du visage, le rythme cardiaque, la sudation sont autant de paramètres qui aident à évaluer le stress et à dépister à temps une charge mentale excessive. « En couplant un système d’analyse du visage et des émotions à des analyses de la voix, nous étudions ce problème avec l’UMR Cognac-G, explique Renaud Séguier de CentraleSupélec. Nous étudions aussi l’influence sur l’état psychologique de sa propre image plus souriante et sa propre voix plus positive dans le cadre du projet ANR Reflet avec l’IRBA, Cognac-G, Dynamixyz et Channel (qui a développé une solution de réalité augmentée).
Isabelle Bellin
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