
Dépister les enfants autistes, les stimuler, suivre leurs progrès
⏱ 5 minApplications pour tablettes, robots ludoéducatifs… Le numérique et l’intelligence artificielle apportent des solutions inédites d’interaction, d’apprentissage et de communication, susceptibles de bouleverser le dépistage et le traitement de ces « enfants extraordinaires ».
Alors qu’un enfant sur cent est touché dans le monde par l’autisme, il reste encore difficile de dépister ce trouble, caractérisé par de grandes difficultés cognitives, d’attention, d’apprentissage, de mémorisation et de communication. Ainsi, alors que le diagnostic peut être établi vers 18 mois, il n’est souvent posé qu’à 5 ou 6 ans. Or on sait que plus l’intervention est précoce, meilleurs sont les progrès de l’enfant.
Une vidéo sur iPad…
Actuellement, le diagnostic de l’autisme repose sur le repérage d’un certain nombre de signes comportementaux comme la passivité, le manque de réactivité à des stimuli sociaux, des difficultés d’attention, d’imitation, de langage, etc. Plusieurs heures de tests, que Guillaume Sapiro, professeur de génie électrique et informatique à l’université de Duke aux Etats-Unis, propose de remplacer par… quelques minutes de vidéo sur iPad. « L’outil de dépistage précoce de l’autisme que nous développons est simple et efficace, résume-t-il. Notre application, baptisée Autism & Beyond, téléchargeable sur iPad, analyse le comportement d’un enfant qui regarde une vidéo censée provoquer des stimuli bien particuliers auxquels les enfants autistes répondent de façon caractéristique. » L’équipe bénéficie du soutien du National Institute of Health (NIH), la principale organisation de financement de la recherche médicale aux Etats-Unis, pour lancer une nouvelle version de son application et la tester au Centre pour l’autisme et le développement du cerveau (CABD) avec l’expertise de Geraldine Dawson, chercheuse en psychologie du développement et de l’enfant, spécialisée dans l’autisme, directrice du CABD.
Comment quelques minutes de vidéo suffisent-elles pour identifier ce qui demandait jusque-là des heures d’observation comportementale à un médecin ? « Le design de la vidéo est fondamental », répond le chercheur. Il prend l’exemple d’une scène drôle, situation qui provoque normalement un sourire ou la recherche d’une interaction avec les autres personnes qui regardent la scène. En général, l’enfant autiste, lui, ne sourit pas, ne tourne pas la tête ou bien plus lentement. Autre exemple : s’il y a, en même temps, à l’écran un personnage et un objet qui fait du bruit, un enfant aura tendance à regarder le personnage alors qu’un autiste regardera plutôt l’objet bruyant.
… qui analyse le comportement et les émotions de l’enfant
Les algorithmes de machine learning, développés par l’équipe de Guillermo Sapiro, dont certains sont brevetés, analysent ce que regarde l’enfant sur l’écran, s’il sourit ou rit, s’il est triste, surpris, s’il bouge ou s’il s’énerve. Ils identifient les émotions à partir d’une quarantaine de points sur le visage, avec un système de codage en partie inspiré du Facial Action Coding System de Paul Ekman, les enfants n’exprimant pas leurs émotions de la même façon que les adultes. Les chercheurs finalisent l’application qui sera testée d’ici quelques mois sur tous les enfants qui viennent en consultation pédiatrique au centre médical de Duke, pour leur suivi régulier. En 4 ans, environ 10 000 enfants seront ainsi dépistés. Cette base de données d’envergure inédite est indispensable pour envisager un développement ultérieur.
Fin 2015, une version précédente de l’application avait déjà été évaluée avec succès au centre médical de Duke, en complément de questionnaires. « Non seulement, cela nous a permis de vérifier, avec l’aide des médecins, la validité de nos analyses, précise Guillermo Sapiro. De plus, grâce à nos algorithmes de vision par ordinateur, qui analysent 30 images par seconde, nous avons pu mettre en évidence des comportements plus lents, indétectables par l’œil humain, comme la façon de sourire. » Le chercheur rêve de proposer un jour un dépistage de l’autisme en milieu scolaire, aussi simple que les contrôles de l’ouïe ou de la vue et pourquoi pas à domicile. « Nous pouvons aussi déployer facilement cette solution dans le monde entier, ajoute-t-il. L’an dernier, nous l’avons testée en Afrique du Sud avec l’université de Cape Town sur 50 enfants en 2 heures. » L’équipe envisage des déclinaisons pour d’autres pathologies comme les troubles de l’attention ou du comportement alimentaire, la dépression, etc. L’application pourrait également permettre un jour d’évaluer les progrès des enfants autistes.
Tablettes et robots ludoéducatifs
Et pourquoi pas être un jour couplée à d’autres interfaces numériques ? De fait, il est désormais reconnu que les ressources numériques (son, vidéo) peuvent faciliter l’apprentissage et l’interaction avec des enfants autistes. En quelques années, les applications, notamment sur tablettes, se sont multipliées. Faciles à utiliser, elles offrent une autonomie à l’enfant dans un cadre structuré et limité qui l’aide à se concentrer, avec une stimulation multimodale et des informations plus simples à décoder que les émotions humaines. Une startup française, LearnEnjoy, créée en 2012 par Gaele Regnault, mère d’un jeune autiste, propose un support pédagogique numérique pour tablettes et smartphones déjà partagé par 10 000 utilisateurs en France : « Nos applications (PreSchool pour la maternelle et School pour le CP et CE1) décomposent les apprentissages pour permettre à l’enfant d’apprendre à sa vitesse dans un univers ludique, et de suivre ses progrès, explique-t-elle. Pour le CP, cela représente 15 000 fiches de travail et de jeux. » Les enfants en échec scolaire y trouvent d’ailleurs aussi beaucoup d’intérêt. Les applications, créées selon le programme de l’éducation nationale, sont mises à jour dans le cadre d’un suivi précis de plusieurs dizaines d’enfants et au gré des recherches en sciences cognitives, en psychologie du développement et en sciences de l’éducation. Et la granularité très fine des données collectées intéresse d’ores et déjà la recherche pour identifier les meilleurs chemins d’enseignement.
Des robots sont aussi de plus en plus testés comme Nao, le petit robot humanoïde de SoftBank Robotics en expérimentation dans des écoles partout dans le monde.
Son apparence lisse et son ton assez neutre rassurent les enfants dans cette nouvelle forme d’interaction. L’entreprise travaille, notamment avec Laurence Devillers, professeure en intelligence artificielle à Paris-Sorbonne et chercheuse au Limsi-CNRS, sur la reconnaissance des émotions à partir d’indices acoustiques comme le rythme ou le timbre de la voix avec des algorithmes d’apprentissage supervisé de type SVM, parfois de deep learning. Nao est capable de s’adapter aux réactions de son interlocuteur. « Mais il n’est capable de détecter que des émotions simples, en face à face, dans un environnement cadré. On est très loin de pouvoir l’utiliser avec des enfants autistes », reconnait Rodolphe Gelin, vice-président de SoftBank Robotics, en charge de l’innovation et de la recherche. « En revanche, Nao fait l’objet de multiples expérimentations, comme dans le projet européen Dream pour voir dans quelle mesure il permet d’aider des autistes de 4 à 8 ans à communiquer, céder la parole, se concentrer sur un même objet ou imiter des gestes, explique Alexandre Mazel, directeur innovation logicielle. Il a l’immense avantage d’être robuste et sans danger. » A Nantes, dans le cadre du projet Rob’autisme mené par Sophie Sakka, chercheuse en robotique à l’école Centrale de Nantes et présidente de l’association Robots!, six jeunes autistes de 10 à 15 ans ont considérablement amélioré leur capacité à s’exprimer en seulement 6 mois en programmant plusieurs Nao pour les faire s’exprimer à leur place. Le robot est devenu leur extension et les a aidés à se sentir en sécurité.
Une startup française, Leka, teste un autre genre de robot pour évaluer les capacités intellectuelles, motrices et cognitives d’enfants de 1 à 8 ans, autistes, polyhandicapés ou trisomiques : un petit robot sous la forme d’une boule en plastique d’une vingtaine de centimètres de diamètre, qui roule, vibre, émet des sons ou change de couleur.
Bourré de capteurs, le robot détecte les actions de l’enfant pour interagir avec lui selon le programme d’activité choisi. « Leka permet d’établir une relation de confiance avec l’enfant, précise Ladislas de Toldi, cofondateur de la startup. Pour l’instant, Leka est en essai clinique dans 30 centres sur deux activités éducatives. » A terme, grâce aux données brutes récupérées (interaction avec le robot, réussite aux activités, temps de réaction), le but est de suivre les progrès de l’enfant. Le numérique a bel et bien sa place dans le cham du handicap cognitif.