Mieux recruter avec le machine learning ?
⏱ 3 minLes données comportementales sont en train de changer radicalement les pratiques de recrutement. En ligne de mire : mieux évaluer et plus vite les candidats (et les recruteurs).
La présélection à un emploi par vidéo grâce à une intelligence artificielle (IA) se pratique depuis une dizaine d’années aux Etats-Unis, notamment par HireVue, pionnier en la matière. Unilever, géant des produits de grande consommation, a récemment communiqué sur une année de recrutement de la sorte en Amérique du Nord. Bilan affiché : un délai passé en moyenne de 4 mois à 4 semaines ; une augmentation significative de recrutement de candidats non-blancs et une augmentation des universités représentées, passant de 840 à 2600. Leur procédure associe une première sélection à partir d’une évaluation cognitive basée sur une IA, celle de la plateforme Pymetrics avec des jeux de neurosciences, puis une seconde évaluation, menée par HireVue, à partir de l’analyse d’un entretien vidéo. Le taux de candidats ainsi présélectionnés aurait augmenté, de 63% à 80%, et le taux d’acceptation des offres de 64% à 82%.
Convaincre l’intelligence artificielle
Dans cette vidéo qui peut se faire sur smartphone, tablette ou ordi, HireVue analyse les mots clés, l’intonation, le langage corporel, les expressions faciales, 25 000 points au total censés comparer au mieux le profil du candidat au poste sur des critères comme l’adéquation culturelle à l’entreprise ou la capacité à travailler en équipe. Mais comme l’IA est basée sur les prérequis de l’entreprise, ou des données issues d’entretiens passés, certains biais risquent d’être reproduits.
En France aussi, la présélection par vidéo est pratiquée depuis quelques années par EasyRecrue, qui prépare à son tour l’automatisation de l’analyse de contenu de ses vidéos d’une quinzaine de minutes. Motivation, expérience, mise en situation… les questions auxquelles les candidats sont invités à répondre sont les mêmes qu’en entretien direct ou par Skype. A partir de ses nombreuses vidéos, EasyRecrue qui compte 65 salariés en Europe et plus de 400 clients dont La Poste, Sanofi, Carrefour ou Valeo, a lancé une thèse avec le LIMSI (CNRS) et Telecom ParisTech. Le but ? Comprendre pourquoi les recruteurs shortlistent tel ou tel candidat et concevoir, à terme, un algorithme prédictif. « Nous sommes en phase de POC avec une dizaine de clients pour automatiser cette présélection d’abord à partir de l’analyse par machine learning du champ lexical des vidéos, précise Leo Hemamou, le doctorant. La deuxième étape sera l’analyse de la prosodie ; puis viendra l’analyse des émotions du visage. »
Mettre candidats et recruteurs sur un pied d’égalité
Une autre solution de présélection sonde cette dimension moins rationnelle avec des algorithmes de matching pour smartphone, l’application étant alors partagée par recruteurs et candidats. Kudoz, une startup française récemment rachetée par Le Bon Coin propose cela depuis 2014 et une nouvelle application, Blonk, promet d’améliorer encore ce matching. Comment ? En analysant le comportement tant des candidats que des recruteurs. Développée dans la Silicon Valley fin 2014, Blonk a été rachetée par… un français, Vincent Maillard. Cet expert en ressources humaines, ancien chasseur de tête, a de suite vu l’intérêt de l’application qu’il a retravaillée avec des ingénieurs CentraleSupélec avant de lancer sa nouvelle version début 2017. L’originalité de l’application est de sonder aussi ce qui n’est pas forcément clairement exprimé que ce soit dans les besoins du recruteur ou dans les attentes du candidat. « Blonk matche les besoins sur la base des critères classiques (type de poste, localisation, expérience, motivations, niveau de salaire…) mais aussi sur la base de critères comportementaux personnalisés et évolutifs, explique Vincent Maillard. Car candidats et recruteurs ne savent pas toujours bien ce qu’ils veulent et, en général, leurs critères de sélection évoluent au fil du processus de recherche. Nos algorithmes en tiennent compte. C’est une première. »
Concrètement, un premier algo, de type content base, matche les critères objectifs classiques et classe par ordre de préférence les offres d’emploi pour le candidat et les candidatures pour le recruteur. Un second algo, de type collaborative filtering, à base de machine learning, analyse le comportement façon Tinder, cette fameuse application de rencontre lancée en 2012 où chacun « swipe » (balaye l’écran) à gauche ou à droite selon son intérêt ou non pour la proposition de mise en relation. Blonk détecte ainsi que le candidat qui cherchait un poste de comptable jette aussi souvent un œil aux postes d’analyste financier. Il lui en propose en pondérant ces propositions selon l’évolution de l’intérêt du candidat. De même, il détecte qu’une entreprise qui recrute sur Singapour regarde aussi les candidats potentiels en Malaisie, et lui en propose. La phase de chat ne peut s’engager que si candidat et recruteur se likent, comme sur Tinder. « Nous voulons ainsi favoriser les meilleures rencontres, les bonnes adéquations mais aussi ouvrir tant les perspectives des candidats que les définitions de postes, éviter le clonage, résume Vincent Maillard. Le tout à coût très réduit, en divisant par deux les délais de recrutement et avec un côté ludique. »
Anglophone pour l’instant, Blonk concerne donc surtout des profils de cadres à l’international. L’application est déployée en Californie et en Asie y compris avec des groupes comme Michelin, Air France, Singapore Airlines ou Essilor. Prochaine étape, menée avec l’ENS Paris Saclay et CentraleSupélec : poursuivre la démarche à l’étape suivante de sélection à partir de l’analyse de vidéos tant du candidat que de la personne avec laquelle il serait amené à travailler pour évaluer l’adéquation. Pas de doute, les IA s’intéressent de plus en plus au subjectif.