

Les puces sobres et françaises de GreenWaves Technologies
⏱ 4 minL’intelligence artificielle se répand dans des objets plus ou moins connectés où l’énergie est rare. La start-up grenobloise GreenWaves Technologies conçoit pour eux des puces à la fois musclées et d’une grande sobriété énergétique.
L’intelligence artificielle envahit nos vies. Des applications de l’apprentissage profond sont installées sur des objets connectés et autres dispositifs miniatures relevant de l’IoT (Internet of Things)… ou l’énergie, souvent issue de petites batteries, se fait rare. Cette IA distribuée a donc besoin de processeurs véloces et sobres.
C’est la spécialité de GreenWaves Technologies, une start-up fondée en 2014, à Grenoble, par quatre ingénieurs issus de STMicroelectronics, le premier fabricant européen de semi-conducteurs. « Notre cœur de métier, explique Éric Flamand, son directeur technique, c’est l’innovation architecturale. »
Une palette élargie de réseaux de neurones
La start-up, qui a lancé son premier produit, le GAP8, en février 2018, vientd’annoncer la génération suivante (le GAP9), et planche déjà sur son prochain poulain, le GAP10. « Nous avons un prototype du GAP9 depuis un an, et nous avons reçu le premier « silicium » en mars, précise Éric Flamand. Nous sommes sur le point d’envoyer en fabrication chez GlobalFoundries la version de production. Il devrait être en production en septembre 2021. »
Le GAP9 est une puce de 3,4 sur 3,4 millimètres, gravée en 22 nanomètres (nm) (contre 55 nm pour le GAP8) dans une technologie FDSOI (Fully Depleted-Silicon-On-Insulator), qui favorise grandement une basse consommation. « Il est dix fois plus puissant que le GAP8 et cinq fois plus efficace en énergie, indique Éric Flamand. Des améliorations architecturales facilitent la mise en œuvre d’une palette élargie de réseaux de neurones et le traitement de données représentées sur formats réduits, de huit bits ou moins. »
Traitement de signal et classification
Plus précisément… « Notre architecture est optimisée pour des applications nécessitant du traitement du signal et de la classification faisant appel à toutes sortes de réseaux de neurones, notamment ceux adaptés au traitement de séries temporelles, et donc en particulier du son, comme les RNN (Recurrent Neural Network), les LSTM (Long Short-Term Memory), GRU (Gated Recurrent Unit)… »
Le GAP8 comportait 8 + 1 processeur, le GAP9 en comprend 9 + 1. Un processeur gère les entrées-sorties, la mémoire, l’énergie… « Les neuf autres processeurs sont identiques et dédiés au calcul, souligne Éric Flamand. Ils sont assistés d’un « bloc » configurable permettant d’accélérer certains calculs lourds en réalisant un grand nombre d’opérations en parallèle. Il permet par exemple de réaliser 150 MAC (Multiply-ACcumulate), une opération fondamentale en inférence de modèles d’apprentissage profond, par cycle. »
Une consommation d’énergie maîtrisée
Le GAP9 donne son maximum à 400 Mégahertz (MHz), il consomme alors 40 Milliwatts (mW). « Il peut développer typiquement une puissance spécifique de 650 milliards d’opérations par seconde par watt (650 Gops/W), et en exploitant toutes ses ressources de calcul, jusqu’à 1,3 Tops/W, assure Éric Flamand. Mais en fonction de l’application et de la source d’énergie, il peut fonctionner en consommant encore moins. À 250 MHz, par exemple, la consommation est de l’ordre de 16 mW. Dans certaines applications audio, elle peut tomber en-dessous du milliwatt. »
La start-up s’inscrit dans le mouvement « Open Hardware ». « Nous nous appuyons sur de grands standards ouverts, précise Éric Flamand. Notamment le Risc-V (lancé par l’université de Californie, à Berkeley) et PULP (Parallel Ultra Low Power), porté par l’École polytechnique fédérale de Zurich et l’université de Bologne, qui offre une bibliothèque d’architectures de processeurs Risc-V alliant puissance et frugalité grâce au parallélisme. Nous sommes surtout membre du OpenHW Group, qui regroupe une cinquantaine d’acteurs du secteur des semi-conducteurs, académiques et industriels, avec qui nous partageons, échangeons du savoir-faire. »
Le GAP8 aurait déjà séduit des industriels dans des secteurs variés de l’univers IoT. « Nous avons, par exemple, un client, aux États-Unis, qui est dans la gestion intelligente de l’espace des bâtiments, explique Éric Flamand. Il utilise un petit dispositif au plafond, fonctionnant sur batterie, qui permet de compter les personnes présentes dans une pièce par vision artificielle, afin notamment de pouvoir attribuer un bureau libre à la demande. »
Vision artificielle et reconnaissance vocale
Les exemples d’applications reposant sur la vision artificielle ne manquent pas. « Un client chinois produit des modules minuscules comportant une caméra, destinés à des applications telles que le portier intelligent, capable de détecter un visage et d’identifier une personne. Une autre application est la détection de l’attention, par exemple de l’utilisateur d’un PC, ce qui permet de le mettre en veille dès qu’il ne s’y intéresse plus. »
Dans certaines applications, la caméra peut être remplacée ou complétée par un radar miniature basse consommation. Par exemple pour détecter et interpréter des gestes de la main. D’autres se contentent d’un micro.
Sur le marché des oreillettes intelligentes
Mais, avec la nouvelle génération à venir, un virage se prépare. « Le GAP8 avait un positionnement IoT, rappelle Éric Flamand. Avec le GAP9, nous constatons un intérêt tout particulier de la part d’interlocuteurs travaillant sur des « earbuds« , des oreillettes sans fil. Notre nouvelle puce est très adaptée à l’ANC (Acoustic Noise Cancelling), l’annulation active de bruit. Elle comporte une « Smart Filtering Unit » dédiée à ce type d’opération. Et on sait aujourd’hui, grâce à des réseaux de neurones, différencier différents types d’ambiances bruyantes (avion, voiture, train, rue…) afin d’optimiser le filtrage en fonction du contexte. De plus, notre puce se prête également à toutes sortes de fonctions reposant sur la reconnaissance de la parole. Le GAP9 visera surtout ce marché des oreillettes intelligentes, estimé à 300 millions de pièces par an. »
GreenWaves Technologies s’active déjà sur la génération suivante, le GAP10, qui intégrera notamment des fonctionnalités nouvelles. « Nous prévoyons une production en 2023. » La start-up emploie aujourd’hui 43 personnes. Elle dispose de bureaux à Shanghai et à Bologne. Elle a déjà levé 11 millions d’euros en mars 2019 et prépare une nouvelle levée de fonds pour 2021.