
Les villes françaises à l’ère de l’open data ?
⏱ 4 minLa France est un des pays précurseur en matière d’ouverture des données publiques. Aux informations publiques de l’Etat et des établissements publics s’ajoutent les données des collectivités territoriales et des acteurs privés. Quelles données, disponibles sur quels portails ? De quelle qualité, et pour quoi faire ? Les différents articles de ce dossier aborderont quelques-unes des nombreuses problématiques que posent les data cities.
Octobre 2018 : à cette date, conformément à la Loi pour une République numérique d’octobre 2016, les 4000 collectivités locales françaises de plus de 3500 habitants sont censées avoir ouvert leurs données publiques – il en va de même pour les entreprises qui gèrent un service public (transport, eau, déchets…). « Elles seront quelques centaines tout au plus, prévient Jacques Priol, fondateur de Civiteo, société de conseil aux collectivités. Si la loi française est exemplaire, elle est difficile à mettre en œuvre surtout pour les plus petites collectivités qui n’ont ni les budgets, ni les équipes informatiques. » La France est le seul pays au monde à avoir légiféré de la sorte. L’Hexagone figure en bonne place en matière d’open data. Etalab, qui coordonne la politique française, a mis en place une plateforme, www.data.gouv.fr, qui rassemble les données publiques de l’Etat, de ses établissements publics (EPCI*) et des collectivités qui le souhaitent.
Seulement 8 % des collectivités en open data
En janvier 2018, OpenDataFrance, l’association publique qui accompagne les collectivités dans l’open data, évoque quelques 290 collectivités locales (11 régions, 32 départements, 65 EPCI et 183 communes) ayant ouvert au total plus de 23 000 jeux de données sur le territoire (32 %), l’administration (28 %), la culture, le sport, les loisirs (17 %), l’éducation et la recherche (10 %) ou encore le logement et l’urbanisme (7 %). Dans le sillage des plus grandes villes comme Rennes, Paris, Bordeaux ou Montpellier qui ont commencé en 2010, environ 90 petites collectivités se sont lancées en 2017 avec l’aide d’OpenDataFrance. « Nous leur proposons de commencer par sept jeux de données essentielles, sur l’état civil, les marchés publics, les subventions, les équipements publics, les adresses…, pour lesquels nous précisons les règles de codage et de formatage pour s’assurer que ces données soient interopérables, explique Jean-Marie Bourgogne, délégué général d’OpenDataFrance. Et nous leur fournissons des supports de présentation et de formation dont un serious game. »
Pour sauter le pas, ces collectivités ont eu besoin d’être soutenues par des acteurs locaux comme des métropoles, des régions, des préfectures, des EPCI ou des syndicats mixtes informatique (partenaire informatique habituel). « La préfecture d’Occitanie a ainsi accompagné 15 petites et moyennes collectivités comme Castelnaudary, Rodez, Frontignan, Le grand Cahors ou encore Noé (moins de 3000 hab.), précise Benoît Chabrier, délégué régional au numérique à la préfecture. Nous avons développé un script qui permet à chaque ville d’héberger ses données sur le site d’Etalab et de les afficher sur son site municipal – voir l’exemple de Castelnaudary. Sous licence libre, il peut être réutilisé par toute autre collectivité. Les villes peuvent aussi choisir de développer un portail propriétaire ou d’utiliser un portail sous licence comme ceux que proposent OpenDataSoft. »
Objectif : mutualiser et s’organiser
L’idéal est qu’elles choisissent un portail mutualisé, ce qui a été le cas de 60 % des collectivités accompagnées en 2017. Il existe déjà un certain nombre de portails open data à l’échelle de métropoles avec plusieurs centaines de jeux de données ouverts comme le Grand Lyon (59 communes), Montpellier (31 communes) ou la région PACA (37 communes). Dès que le portail est ouvert, cela va même assez vite : la métropole européenne de Lille a ainsi réuni 160 jeux de données en un peu plus d’un an. Les données sont parfois mutualisées à l’échelle du département ou encore de la région comme la Région des Pays de la Loire, associée à la ville de Nantes, Nantes Métropole et au Conseil départemental de Loire-Atlantique (avec plus de 700 jeux de données). « Plus qu’une obligation légale, partager les données publiques doit devenir une conviction politique », affirme Jean-Marie Bourgogne d’OpenDataFrance. Ce sera la seule façon de passer à l’échelle et surtout, au-delà de la transparence, de favoriser de nouveaux services grâce à ces données en les agrégeant avec d’autres, publiques ou privées. Plus la donnée est en quantité, plus elle peut être croisée, servir de base de connaissance.
« C’est avant tout une question d’organisation et de développement d’une culture de la donnée, plutôt qu’un problème de coût des outils, renchérit Jean-Marc Lazard, d’OpenDataSoft, éditeur de portails de données. Une petite ville peut s’offrir le même tableau de bord – le poste de pilotage de ces données, sur lequel nous reviendrons dans un prochain article, ndlr – qu’une grande ville. Nous l’ajustons selon la quantité de données. D’une ville à l’autre, les besoins sont, pour la plupart, identiques. C’est facile de dupliquer. Ce n’est souvent pas encore une question de big data ou d’intelligence artificielle. C’est une question de transformation en profondeur des pratiques. Il y a surtout besoin de pédagogie y compris pour des villes de 20 000 habitants, pour que les gestionnaires perçoivent la valeur des données, ce qu’ils peuvent en tirer. » Une opinion largement partagée qui nécessite un véritable accompagnement. « L’open data n’est pas une fin en soi, l’enjeu est de passer à l’open data utile, à une stratégie pour la donnée publique », confirme Jacques Priol de Civiteo (voir son billet). « La mise à disposition des données devient la règle, les deux maillons les plus importants sont désormais ceux qui fabriquent les données et ceux qui les interprètent », conclue Jacques Priol.
Isabelle Bellin
* Les établissements publics de coopération intercommunale sont des structures administratives regroupant plusieurs communes.
Pour aller plus loin :
Le big data des territoires, Jacques Priol, fyp éditions, 2017, 256 p.