Hybrider start-up et grands groupes
⏱ 5 minCertaines entreprises ont compris l’intérêt de travailler main dans la main avec les start-up. Une forme de co-développement bénéfique pour chacun, qui suppose une réorganisation de l’innovation. Exemples dans le secteur de l’assurance, en pleine transformation grâce à des solutions IA.
CorpUp, hub, hybridation… font partie du nouveau vocabulaire de l’innovation ouverte (ou open innovation) conceptualisée au début des années 2000. Fondée sur le partage et la collaboration, l’innovation ouverte postule qu’il est plus efficace et rapide pour une grande entreprise de ne plus s’appuyer seulement sur sa propre recherche pour innover. Le partenariat avec des start-up est un des piliers de ces pratiques en devenir.
Mais pour un corporate, comme on dit, interagir avec des start-up n’a rien d’évident. Dans le cadre d’une véritable démarche d’innovation, cela va bien plus loin qu’une simple collaboration, ou même d’un rachat de la start-up. Cela suppose une transformation culturelle et organisationnelle d’envergure, à l’instar de celle qu’ont engagé la MAIF ou AG2R La Mondiale depuis plusieurs années. De fait, le secteur de l’assurance est en pleine révolution avec l’apparition de pratiques collaboratives comme le covoiturage, le partage d’appartements, de nouveaux usages comme les voitures autonomes ou de nouvelles pratiques d’aide à la décision. L’intelligence artificielle (IA) est au cœur de bon nombre de ces évolutions.
Créer des partenariats avant tout
« Nous devons nous adapter pour accompagner ces transformations culturelles, proposer de nouveaux services, anticiper ces évolutions qui se généralisent et changent notre cœur de métier, explique Bérenger Billerot, manager du MAIF Start-up Club. Nous assurons ainsi depuis plusieurs années les usages de 250 à 300 start-up de l’économie collaborative, comme Yescapa pour les échanges de camping-cars entre particuliers. C’est pour être plus efficace encore, poursuivre ces partenariats avec des start-up, mais aussi partager notre expérience avec les équipes innovation d’autres grands groupes comme PSA sur le véhicule autonome, que nous avons créé le MAIF Start-up Club il y a un an. »
Cet espace de collaboration est un des fers de lance de la politique d’innovation ouverte de la MAIF. Il doit notamment permettre de favoriser l’hybridation, autrement dit la collaboration intime entre l’assureur et des start-up. Cette nouvelle forme de partenariat, sans logique de rachat futur ou de gestion de portefeuille, a pour objectif de créer de nouveaux relais de croissance. Onze start-up (80 résidents) sont actuellement incubées dans ce lieu où sont également organisées conférences, tables rondes, afterwork. L’une de ces start-up développe une solution à base d’IA : Domoscio, qui propose une solution d’adaptive learning pour la formation [lire l’article DAP « Un apprentissage sur mesure grâce à l’IA » NDLR].
La règle est claire : les start-up qui sont accueillies au MAIF Start-up Club ont vocation à monter un projet commun avec la MAIF, une nouvelle offre d’assurance ou de service qui sorte du champ traditionnel et crée une nouvelle proposition de valeur. Celles qui font appel à l’IA devraient figurer en bonne place.
« L’hybridation est le nerf de la guerre pour favoriser l’accostage de ces acteurs externes à l’entreprise. Elle s’ajoute aux deux autres modes d’action que nous menons, qui consistent, d’une part, à explorer les écosystèmes d’innovation en France et à l’étranger pour identifier de nouveaux partenaires potentiels, d’autre part à nouer des relations en interne entre les équipes pour nourrir de nouvelles idées, explique Chloé Beaumont, Hub manager à la MAIF. Nous nouons des relations avec des start-up mais aussi avec des entreprises et des écoles. Depuis six mois, nous déployons également un outil pour recenser les start-up avec lesquelles nous avons des liens ou que nous avons repérées pour favoriser les collaborations, dans les deux sens. Nous en avons identifié 550 ! Bien plus que nous ne pensions… dont 25 en IA. »
Fusionner le meilleur de chacun
Comme le décrit Jean-Christophe Conticello, fondateur et CEO de Wemanity, qui accompagne les entreprises dans leurs projets de transformation agile, l’entreprise du futur sera ce hub, capable de créer et d’accélérer des start-up pour former ce qu’il appelle une CorpUp, symbole de l’hybridation d’une Corporate avec des start-up. De quoi fusionner le meilleur des start-up avec les avantages des grosses entreprises.
Autre exemple de partenariats, mutualisé cette fois : il y a un an et demi, sept mutuelles d’assurance (MAIF, MACIF, MAAF, Covea, IMA, Groupama, Groupe P&V) ont créé à Niort, berceau de l’assurance mutualiste, un accélérateur de start-up, baptisé French AssurTech. Objectif : soutenir le développement de start-up et redéfinir l’assurance de demain en leur apportant un marché (les sociétaires) et des données en quantité, ce qui leur permet de mettre à l’épreuve leurs solutions au cours des neuf mois d’accompagnement.
Parmi les start-up accompagnées en saison 1 : Fotonower qui développe une solution d’aide à la décision et de reconnaissance automatique de sinistres automobiles à base de reconnaissance d’images et d’IA. La start-up a entraîné et amélioré son IA sur la base des milliers de photos référencées de voitures sinistrées de Groupama (chaque dégât sur chaque photo est documenté).
Les start-up que soutient French AssurTech sont sélectionnées autour de quatre thématiques : IA, big data, relation client et blockchain. Huit start-up ont été retenues pour la saison 2, dont certaines à base d’IA comme Afterdata qui développe une plate-forme de marketing prédictif pour analyser le comportement des sociétaires ou Golem.ai qui améliore la satisfaction client grâce à une solution d’analyse du langage.
« La spécificité des start-up IA est qu’elles ont besoin de données pour entraîner leurs algorithmes ainsi que d’expertise métier, ajoute Laurent Charon, directeur de l’open innovation chez AG2R La Mondiale. On est loin de la relation client/fournisseur. La collaboration entre corporate et start-up est un véritable co-développement. Ainsi, nos équipes d’actuariat ont appris à utiliser des outils d’IA au contact des start-up ; inversement, ces derniers ont appris le métier de l’assurance, ce qui permet d’améliorer la maturité de leur solution et d’améliorer le traitement de nos cas d’usage. »
Depuis trois ans, AG2R La Mondiale expérimente des solutions avec des start-up IA, notamment sur le risque d’attrition – le départ de clients vers une autre assurance – grâce à une plate-forme de deep learning ou sur l’étude de documents à partir d’analyse sémantique symbolique.
Investir
Plus classique, quoique récent en France, l’autre versant de collaboration avec des start-up est l’investissement corporate.« En octobre 2018, nous avons créé un fonds d’investissement dédié à l’innovation et à la recherche et développement nommé ALM innovation, doté de 10 millions d’euros. Nous analysons des dossiers pour investir entre 300 000 et 1 million d’euros dans cinq à dix start-up, poursuit Laurent Charon. A priori, une sur deux aura une brique IA dans sa solution. » Il souligne que le corporate venture est un outil de codéveloppement et non une condition, et précise qu’AG2R La Mondiale s’intéresse surtout à des sociétés qui ont fait leur preuve de concept – ce qui a été imaginé peut être fabriqué et expérimenté – et leur preuve de marché – des clients sont prêts à payer pour le produit développé.
De son côté, la MAIF a créé son fonds d’investissement MAIF Avenir dès 2015, et soutient 24 start-up, dont certaines en IA, comme SNIPS, qui développe un assistant vocal embarqué dans chaque machine, respectant la vie privée [lire l’article DAP « Maël Primet veut rendre les services vocaux plus respectueux de la vie privée » NDLR]. « Notre singularité tient à notre positionnement éthique, souligne Chloé Beaumont. Nous résistons aux sirènes du tout technologique et nous choisissons les start-up que nous accompagnons conformément au monde que l’on veut construire. » Les entreprises françaises auraient tout intérêt à suivre ces exemples, et à considérer les start-up comme des acteurs et des partenaires à part entière, y compris pour sauver leurs marchés.
Isabelle Bellin