La France, un Eldorado pour les start-up
⏱ 9 min[vc_row][vc_column][vc_column_text]Les fonds d’investissement et les structures d’accompagnement sont nombreux et de qualité en France. Les conditions sont idéales pour lancer des start-up IA… moins pour grandir, faute d’acquéreur stratégique.
« Aujourd’hui les conditions sont bonnes pour entreprendre en France, affirme David Bessis, fondateur et CEO de Tinyclues. Si on a un bon projet, on trouve un financement ! » Ce son de cloche est partagé. Matthieu Somekh, président de France is AI (initiative pour promouvoir l’excellence française de la formation et de la recherche en IA) et CEO de Zebox, nouvel incubateur et accélérateur international basé à Marseille, est aussi de cet avis : « Nous avons la chance d’avoir des fonds d’investissement français de très grande qualité. Le capital-risque s’est beaucoup développé ces dernières années notamment grâce à la contribution de Bpifrance (Banque Publique d’Investissement) qui a fait un travail considérable : les start-up ne manquent ni de partenaires ni de clients potentiels, que ce soit des chercheurs, de grands groupes français qui innovent en IA ou des groupes internationaux comme Facebook, Google ou Fujitsu, qui se sont installés dans l’Hexagone. Un véritable Eldorado ! Nous avons tous les arguments pour offrir un cadre très privilégié à des entrepreneurs de l’IA pour installer leurs start-up en France, au moins au début. »
De fait, même si Bpifrance n’a pas de dispositif de financement dédié à l’IA, plus de 95 % des sociétés françaises en IA sont suivies dans le réseau. « Nous en avons financé plus de 85 % et incubé au moins 55 depuis 2005, précise Jean-Christophe Gougeon, responsable sectoriel logiciel et intelligence artificielle de Bpifrance. En 2018, cela a représenté environ 80 millions d’euros (M€) d’aides. En termes d’investissement, là encore, malgré l’absence de fonds dédié, nous avons 25 entreprises IA en portefeuille, soit 15 % de notre portefeuille actuel à hauteur de 160 M€. » Et si ces dernières années, les soutiens de Bpifrance (avance remboursable, subvention, prêt, appel à projet) étaient plutôt orientés vers les usages et l’accès au marché, le plan DeepTech, lancé en janvier dernier avec un financement de 800 M€ et 1,3 milliards de fonds propres sur cinq ans, marque un virage important avec un ré-ancrage vers les start-up issues de la recherche et les innovations de rupture.
Une start-up IA qui se monte aurait accès à de nombreux fonds d’investissement tech, plus ou moins spécifiques et spécialisés, chacun avec son réseau d’experts et ses entrées dans les grands groupes. Le média en ligne Actu IA en a listé plus d’une cinquantaine. En général, une start-up a intérêt à se rapprocher de quatre ou cinq fonds – c’est le rôle des incubateurs et des accélérateurs de les conseiller. Il est important de les choisir selon son stade de développement. On distingue dans la chaîne de financement, dans l’ordre, les subventions de l’État, la Love Money, les Business Angels (investisseurs individuels, avec leur argent personnel), l’amorçage (seed ou early stage en anglais, jusqu’à 1 M€ levés en général pendant la phase d’incubation) puis les tours institutionnels : premier tour de table (série A, en général autour de 5 M€), deuxième tour (série B, où commence le late stage, en anglais, avec des levées de 10 à 15 M€), troisième tour (ou série C, avec des levées au-delà de 25 à 35 M€). Il se passe environ dix-huit mois entre chaque tour.
Un choix de structures d’accompagnement
Rares sont les start-up IA qui ne passent pas par un incubateurUn incubateur est une structure d’accompagnement des start-up avec des espaces de travail et des services (juridique, comptable, formations, levée de fonds…). Il peut être public ou privé, spécialisé ou généraliste. Le loyer est généralement payant et l’incubateur ne prend pas de participation au capital.. Agoranov, l’incubateur public francilien de référence en a accueilli 400 depuis sa création en 2000. « Nous sommes proches des labos, et donc souvent en avance de phase, justifie Jean-Michel Dalle, directeur d’Agoranov et membre du board de France is AI. Criteo, Dataiku, Shift Technology ou Cardiologs, pour ne citer qu’elles, sont passées par Agoranov. Sans surprise, c’est aussi à ce stade de l’incubation que le taux d’échec est le plus élevé : de l’ordre de 30 % chez nous. » Environ 60 à 70 start-up sont incubées simultanément chez Agoranov, la plupart dans un espace de travail de 2 300 m2 à Paris, certaines chez des partenaires. Chaque année, 30 à 35 nouvelles start-up sont accueillies au fil de l’eau, pour six mois renouvelables jusqu’à deux ans. En général, elles restent dix-huit mois. Les start-up IA, comme toutes les start-up Deep Tech, ont besoin de temps pour élaborer leur technologie.
Ces structures d’accompagnement (incubateurs et accélérateursUn accélérateur est une structure privée d’accompagnement de start-up qui y investit et se rémunère en capital. Elle ne propose pas forcément de locaux mais des prestations de conseil, de méthodologie, parfois des ressources techniques) sont de plus en plus thématisées et les start-up en enchaînent souvent plusieurs. Rien qu’en Île-de-France, on compte des centaines d’accélérateurs de start-up, étape après l’incubation où elles restent de trois à six mois en général. Cela va de petites structures qui accueillent cinq ou six start-up, jusqu’à Station F en passant par Bpifrance qui en a accéléré une vingtaine en 2018 dans son Hub soit environ 7 % des 280 start-up IA identifiées à l’époque. « Parmi les plus petites structures d’accompagnement, certaines ont de la peine à tenir leurs promesses, regrette Jean-Michel Dalle d’Agoranov, souvent parce qu’elles sont en deçà de la taille critique. Leur nombre est heureusement en train de régresser. »
Et de fonds d’investissement
L’étape suivante passe en général par les fonds d’investissement. La plupart sont généralistes. Certains ont un historique techno comme Alven en technologies numériques, Elaia dans la tech et la Deep Tech ou Partech dans les technologies de l’information et de la communication. Quelques fonds français sont réservés à l’IA (quasiment pas aux États-Unis). C’est le cas du fonds de Serena Data Venture lancé en 2017 par Serena Venture Capital, dédié à l’IA et au big data et doté de 80 M€.« Nous investissons en amorçage, entre 700 000 € et 2 M€, précise Marie Brayer associée de Serena VC. Nous avons financé une douzaine de sociétés depuis 2016. Nous nous sommes positionnés tôt sur ces sujets, alertés par le succès de DataikuPour sa 3elevée de fonds (101 M$), Dataiku, créée en 2013, a été soutenue par Iconiq Capital, Dawn Capital et ses investisseurs historiques Alven Capital, Battery Ventures et Firstmark Capital. La start up d’origine française relocalisée à New York fin 2016 est valorisée 700 M$. (plateforme d’analyse prédictive) soutenue dès 2015 ou de TalendTalend a été crée en 2005, soutenue par les fonds français Iris Capital, Bpifrance et Idinvest et par le fonds anglais Balderton Capital, en bourse depuis 2016 valorisée environ 800M$ aujourd’hui. (outil de synchronisation des flux de données d’une entreprise pour créer des Data Lakes). »
Autre exemple : Elaia, qui a notamment soutenu CriteoSans doute l’une des plus belles réussites françaises de ces dernières années, Criteo, fondée en 2005, a été soutenue par Elaia et Idinvest. La société a réalisé une entrée en bourse réussie au Nasdaq en 2013. Sa valorisation avoisine aujourd’hui les 2 milliards de dollars., précurseur dans le domaine de l’IA, investit en Europe par le biais de deux fonds, l’un dédié au numérique en amorçage et série A (Delta Funds, doté de 150 M€), l’autre (PSL Innovation Fund, doté de 75 M€) qui finance depuis juin 2018 des start-up notamment IA issues de l’université Paris Sciences & lettres, un regroupement de 24 établissementsPSL réunit notamment L’école normale supérieure, Mines ParisTech, le Collège de France, Chimie ParisTech, l’Ecole supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris, l’Institut Curie, l’Institut Pasteur, l’Université Paris-Dauphine, le CNRS, INRIA, INSERM. universitaires, de recherche et d’enseignement très interdisciplinaire. « Nous avons déjà quatre entreprises en portefeuille avec ce fonds PSL, précise Cédric Favier, directeur d’investissement chez Elaia. Nous investissons très tôt, dès le pré-amorçage dans des innovations de rupture Deep Tech. Le but de ce fonds est de faire fructifier la vision business de ces chercheurs-entrepreneurs. »
Quel que soit le fonds, la sélection est rude. Alven, qui gère un fonds de 250 M€ finance en moyenne trois start-up IA par an sur les 300 à 400 dossiers reçus. « Nous les finançons en early stage (série A) à leur sortie d’incubateur lorsqu’elles commencent à avoir un peu de chiffre d’affaires et un produit à vendre, explique Raffi Kamber, associé d’Alven. Nous réinvestissons en série B et C. Notre but est que le fondateur devienne chef d’entreprise et que la société se construise. Outre la qualité des fondateurs, nous analysons le réalisme du modèle économique. Nous soutenons des projets pragmatiques qui exploitent des données métier non valorisées grâce au machine learning pour capter du chiffre d’affaires existant. Nous nous intéressons surtout aux applications industrielles en ce moment et nous choisirons peut-être un ou deux dossiers dans le médical ou l’espace. » La difficulté aujourd’hui est d’identifier la chaîne de valeur et les enjeux stratégiques pour ces sociétés qui vendent à des industriels qui dévoilent rarement les données dont elles disposent.
Elaia, pour sa part, veille à diversifier ses investissements IA en choisissant des profils de sociétés plus ou moins dépendantes de l’IA, pour réduire le risque. « Nous investissons dans trois types de profils de start-up IA, précise Cédric Favier : dans des sociétés basées sur l’IA avec des approches très disruptives (IA First), comme Gleamer, Tinyclues ou Shift Technology ; dans des start-up qui fournissent des outils ou de l’infrastructure nécessaires à l’IA, comme ForePaas (plateforme d’analyse de données) ou SeqOne (plateforme d’analyse de données de séquençage) dont nous venons d’annoncer un soutien de 3 M€ ; enfin dans des start-up qui utilisent l’IA comme brique technologique comme Acorus Networks (solution de cybersécurité). »
Mais un plafond de verre en série B
Les fonds d’investissement accompagnent les start-up en moyenne quatre ou cinq ans jusqu’à l’exit, lié en général au rachat par une autre société ou par un autre fonds ou à l’introduction en Bourse (IPO). Jusque-là, ils les aident à améliorer leur organisation, à recruter les bons profils, leur apportent une assistance juridique, marketing, de communication, etc. « Pour cela, dans notre équipe, nous avons un tiers de scientifiques, un tiers d’anciens entrepreneurs et un tiers de profils business », souligne Cédric Favier (Elaia). Les nouveaux venus profitent aussi de l’expérience des anciens car il y a beaucoup à apprendre de ce que font les autres en Deep Tech, quelle que soit l’industrie. « Nos start-up IA en portefeuille s’entraident pour résoudre les problèmes inédits liés à l’IA comme la qualité des données, la responsabilité des algos ou encore les nouvelles relations business avec les clients, confirme Marie Brayer (Serena VC). Ce sont autant de nouvelles métriques à inventer. » De son côté, David Bessis (Tinyclues) insiste sur le rôle du comité de surveillance : « À mon sens, c’est le plus important dans l’accompagnement d’un fonds d’investissement. Les membres du comité de surveillance sont là pour suivre la start-up de près avec un regard vigilant et critique dans une relation de confiance. »
Quid des exits ? « C’est là où le bât blesse toujours en France et en Europe. Maintenant que l’on a des chiffres, on voit bien qu’il manque des capitaux pour assurer une croissance rapide des start-up, regrette Jean-Michel Dalle (Agoranov). Souvent dès la série B, elles doivent faire appel à des fonds internationaux par manque de français ou européens, ce qui crée une situation inquiétante en termes de souveraineté. » Il nous manque des acquéreurs stratégiques. « Après la Grande-Bretagne, la France est un pays leader en Europe en termes de nombre de deals et de montants investis dans les start-up IA en série A, rétorque Jean-Christophe Gougeon (Bpifrance) qui fait remarquer que, contrairement à ce que l’on imagine, l’early stage et la série A sont plus faciles à financer en France qu’aux États-Unis. En comparaison avec ces derniers, nous souffrons d’un syndrome inversé ! Mais c’est la dynamique qu’il faut retenir. » Paul Strachman, associé du fonds d’investissement ISAI, ne voit d’ailleurs pas forcément cela d’un mauvais œil : « Le fait que les fonds américains soient prêts à soutenir les start-up françaises est un gage de la reconnaissance des talents français en IA. Un fonds comme General Catalyst, aujourd’hui au capital de Shift Technology, affirmait il y a cinq ans qu’investir en Europe était exceptionnel. Ce changement de mentalité est aussi bon signe ! »[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_cta h2= » »]
En Europe et dans le monde
Selon le fonds d’investissement britannique MMC Ventures, le capital-risque en IA a été multiplié par 15 dans le monde en seulement cinq ans (voir ci-dessous les illustrations tirées du rapport de MMC Ventures).
En Europe, une start-up IA sur six (16 %) a levé plus de 8 millions de dollars (M$), preuve d’une certaine maturité, notamment en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne.
Selon Serena VC, en 2017, plus de 2,2 milliards de dollars auraient été investis dans les jeunes pousses développant des solutions IA en Europe (438 M$ en France, voir ci-dessous). C’est près de trois fois plus qu’en 2016, et surtout, cela marque une rupture dans la croissance jusqu’ici linéaire des investissements en IA. 2017 compte également plusieurs investissements en série C dans des start-up IA avec cinq levées de fonds de plus de 20 M$ (Actility, Dataiku, Shift Technology, Kalray et Oodrive). Quatre secteurs concentrent près de la moitié des fonds investis : la santé, la finance, la sécurité et la vente et le marketing.
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Isabelle Bellin
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