Start-up IA : d’une mode à une évidence
⏱ 7 min[vc_row][vc_column][vc_column_text]Beaucoup de start-up se revendiquent IA, notamment pour lever des fonds. Une mode très probablement passagère comme celle du big data qui l’a précédée. Car, à terme, le qualificatif IA deviendra obsolète tant son recours sera généralisé. Ce qui compte, c’est la création de valeur qu’apporte l’IA.
Plus de 335 start-up IA auraient levé des fonds en France en mars 2019 selon la cartographie établie par France is AIFrance is AI est soutenue par France Digitale, association des entrepreneurs et investisseurs français du numérique qui établit notamment un baromètre annuel des performances économiques et sociales des start-up du numérique., initiative créée en 2016 pour promouvoir l’excellence française de la formation et de la recherche en IA (voir ci-dessous). Le ministère en charge de la recherche et de l’innovation en dénombre, pour sa part, environ 290.
Mais qu’est-ce qu’une start-up IA ? Le terme IA est tellement à la mode qu’il en devient fourre-tout. « Avoir de l’IA dans son cœur de métier, est-ce développer ses algos de A à Z ? Est-ce appliquer les algos des autres, comme TensorFlow, à ses propres données ? Est-ce entraîner des réseaux de neurones, utiliser des API IA… ? C’est devenu compliqué de distinguer qui est une start-up IA et qui ne l’est pas ! » fait remarquer Paul Strachman, fondateur de France is AI et associé du fonds d’investissement ISAI.
Résultat : Dans une étude très détaillée sur l’IA en Europe publiée en mars 2019, le fonds d’investissement britannique MMC Ventures considère que, parmi les 2 830 start-up européennes qui se revendiquent IA (issues de 13 pays de l’Union européenne), seules quelques 1 600 le seraient effectivement (cf encadré) : plus de 40 % usurperaient cette dénomination. « C’est difficile à évaluer, tempère Paul Strachman. Cela nécessiterait une étude poussée de l’activité de chaque start-up. »
Identifier les start-up IA
On constate cet engouement pour l’appellation IA partout, tant en Europe qu’aux États-Unis. Cela commence dès l’incubateur. « C’est un véritable buzzword [mot à la mode, NDLR], confirme Jean-Michel Dalle, directeur d’Agoranov, l’incubateur public francilien, également membre du board de France is AI. Depuis quatre ou cinq ans, nous voyons passer de plus en plus de projets fantaisistes, qui se prétendent IA ou qui promettent de l’IA. Lorsque nous avons un doute, nous demandons l’expertise de data scientists pour analyser les propositions dans le détail. »
« C’est effectivement devenu très dur de faire la part de choses, ajoute David Bessis, fondateur et CEO de Tinyclues et membre de France Digitale. Pour ma part, je vois deux critères à identifier pour se revendiquer IA. Le premier est technologique : il s’agit d’utiliser des algorithmes d’apprentissage profond qui font émerger des concepts à partir de données brutes, en les structurant automatiquement ; selon ce critère faire du machine learning avec des algorithmes de régression logistique comme on en faisait il y a trente ans n’est pas de l’IA. Le second critère concerne l’expérience produit, IAfirst comme on dit, qui doit être radicalement nouvelle et permettre à l’utilisateur de faire quelque chose qu’on croyait réservé aux facultés supérieures de l’intelligence humaine, à l’instar de la voiture autonome, sans volant ni pédale. »
Selon ces deux critères, si l’on tente de dresser un rapide historique des start-up IA, on constate plusieurs phases de déploiement. « Après les hivers de l’IA, une nouvelle phase commence aux États-Unis, au début des années 2010, au moment de la renaissance des réseaux de neurones, raconte Paul Strachman, installé à New York. Les premières start-up IA concevaient de nouveaux algos à base de deep learning, par exemple pour améliorer la vision par ordinateur. » Pourquoi aux États-Unis ? « Question de culture et de capacité d’investissement, répond-t-il. C’est là que pouvaient être financées des start-up purement technologiques, dont la capacité à générer du revenu était incertaine, potentiellement destinées à être rachetées. Ce qui a été le cas, dès 2013-2015, notamment par Facebook et Google qui déployaient et étoffaient ainsi leur département IA. » « C’est d’ailleurs souvent chez les GAFA qu’est l’état de l’art en matière de recherche sur les algorithmes », constate Marie Brayer, associée de Serena Venture Capital qui a créé le premier fonds d’investissement européen dédié à l’IA et au big data.
D’une vague d’applications à l’autre
Que proposent les start-up IA actuelles ? « La tendance lourde de celles qui tirent leur épingle du jeu actuellement est applicative, répond Raffi Kamber, associé du fonds d’investissement en technologies numériques Alven. Elles réinventent des logiciels vieillissants pour créer de nouvelles générations grâce à de nouvelles données disponibles et au deep learning. » C’est la suite de la vague du big data, l’IA apportant la valeur grâce à ses capacités de prédiction à l’instar de Tinyclues qui a dépoussiéré la relation client et le ciblage marketing, ou de Scortex, qui revisite le contrôle qualité des pièces industrielles. Pour les industriels, seule cette création de valeur compte, comme le résume Laurent Charon, directeur de l’open innovation chez AG2R La Mondiale, qui développe des solutions IA pour la détection de fraudes, la lutte contre le blanchiment d’argent ou la composition automatique de contrats : « Je ne conçois pas l’IA en tant que telle, mais à travers les cas d’usage métier qu’elle résout de façon plus efficace. » Il cite l’exemple d’une start-up proposant une plateforme de deep learning avec laquelle ils ont mis en place une expérimentation qui a permis de réduire de moitié le taux d’attrition – le départ de clients vers une autre assurance.
En fait, le déploiement des start-up IA intervient par vague, d’abord selon la disponibilité des données dans telle ou telle application, souvent le nerf de la guerre, et selon la capacité des acteurs à les exploiter. « La première vague a été autour du marketing et tout ce qui concerne la relation client (CRM), se rappelle Raffi Kamber (Alven). Il y avait là beaucoup de données numériques que ces sociétés ne savaient pas exploiter en particulier de façon prédictive. » C’est sur ce créneau que s’est engouffré David Bessis (Tinyclues), qui considère que le marché IA du marketing pourrait être mature d’ici deux ou trois ans : « Quand notre produit est sorti, en 2013, les marketeurs étaient prêts à l’expérimenter, c’est ce qui compte ! » Cela dit, il fait remarquer que l’IA surprend toujours : « C’est toujours difficile d’expliquer la proposition de valeur de l’IA, d’en garantir le sérieux, même si nous avons plus de cent clients et des dizaines de cas d’études. L’idée de laisser un algorithme optimiser le processus selon un objectif de campagne marketing, sans segmenter les clients comme on le faisait depuis des décennies, est parfois déroutant. »
On constate, aujourd’hui, une vague de start-up pour des applications industrielles autour des transports, de l’énergie, de l’aéronautique, de la logistique ou de l’espace, des secteurs où l’accès aux données n’est pas toujours aisé – les bordereaux de livraison demeurant, par exemple, le standard en matière de logistique. Et on voit arriver une déferlante d’applications médicales, en France comme à l’étranger. « Nous avons de plus en plus à faire à des entrepreneurs qui souhaitent avoir un fort impact sociétal, qui veulent changer le monde, précise Matthieu Somekh, président de France is AI. L’IA leur ouvre des possibles sans avoir besoin de moyens exorbitants ni de centaines de millions d’euros. »
La France à une carte à jouer
Outre les données dont elles peuvent disposer et leur capacité à faire la preuve d’une valeur ajoutée, les start-up se développent surtout selon les risques associés, dans les secteurs où les acteurs sont prêts à laisser faire les algos. Ce qui est concevable en marketing ne l’est pas forcément dans d’autres domaines. « C’est facile de collecter les données de dizaines de milliers voire de centaines de millions de personnes pour une campagne marketing, résume David Bessis, et on ne tuera personne… rien à voir avec le fait de changer le traitement d’une maladie ou de se laisser conduire par une voiture autonome. » Néanmoins des start-up bouleverseront aussi progressivement le marché de la santé. C’est déjà le cas de Cardiologs, qui aide les cardiologues à analyser les électrocardiogrammes pour détecter les anomalies cardiaques, un cas d’usage très précis. Mais on est encore loin de laisser faire une échographie fœtale à un robot.
Depuis que l’IA est entrée dans cette seconde phase, applicative, la France a une très forte carte à jouer, martèle Paul Strachman, infatigable promoteur de l’IA à la française, chargé d’aider les sociétés du portefeuille d’ISAI à s’établir et se financer aux États-Unis. « Nous avons les talents mais aussi de grands groupes mondiaux dans la plupart des domaines industriels qui ouvrent des marchés nationaux aux start-up françaises », explique-t-il. Résultat : des champions mondiaux émergent, capables de lever de l’argent à l’étranger, y compris aux États-Unis, comme Shift Technology, spécialisée dans la détection des fraudes aux assurances ou Navya, une start-up française qui conçoit des minibus autonomes.
« Et ça ne se calme pas en termes d’investissements, y compris en France, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, ajoute Marie Brayer (Serena VC). Les budgets continuent d’augmenter. Cette vague business est énorme ! Avec de nombreuses promesses d’automatisation de tâches ingrates ou de l’empowering, comme cela a été le cas en d’autres temps avec la robotisation de l’industrie. » Face à cette accélération du nombre de start-up créées, il y aura inévitablement de l’écrémage. Seuls les meilleurs resteront. Est-ce un mal ?
L’IA est inévitable
Il faut surtout raisonner sur le long terme : « Le recours à l’IA est un moyen qui s’inscrit dans une démarche bien plus large de changement, fait remarquer Laurent Charon (AG2R). L’IA va transformer le monde de l’assurance comme de beaucoup d’industries mais cela va prendre du temps. Il n’y aura pas un grand soir de l’IA. Celle-ci se met en place progressivement dans nos systèmes d’informations, dans nos solutions, dans nos outils. » « L’IA va progressivement devenir une couche technologique inévitable pour toutes les entreprises, prévient Paul Strachman (France is AI) : Que ce soit une IA pour repenser leur cœur de métier ou comme outil de support à l’instar des chatbots! » La révolution de l’IA prendra beaucoup de temps, peut-être cinquante ans, confirme David Bessis (Tinyclues) : « Il n’y aura pas un jour avant l’IA et un jour après l’IA, mais un cycle de maturité différent pour chaque cas d’usage. Ce n’est que le début d’un phénomène qui sera de très long terme, comme l’a été la révolution de l’électricité. Combien de décennies se sont écoulées entre l’invention de l’ampoule électrique et du smartphone, deux cas d’usage de l’électricité ? Très peu d’entreprises ont pour métier l’électricité, mais beaucoup créent de la valeur grâce à l’électricité. » Selon lui, beaucoup de produits vont devenir obsolètes parce que leur fonctionnement le deviendra dans un monde où les objets deviennent « intelligents ». « Et ce qui compte avant tout dans cette révolution concerne cette création de valeur, la façon dont cela structure de nouveaux marchés, de nouveaux écosystèmes. » Dans dix ou quinze ans, on ne parlera même plus d’IA ! Ce sera une évidence, comme l’est devenu l’usage de l’électricité, d’internet ou des microprocesseurs.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_empty_space][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_cta h2= » »]
Les start-up IA en Europe
Selon le fonds d’investissement MMC Venture, un tiers des 1 600 start-up IA européennes est en Grande-Bretagne (cf figure ci-dessous), mais il s’en crée de plus en plus en France et en Allemagne. En 2013, une start-upqui se créait sur 50 utilisait plus ou moins de l’IA. Aujourd’hui, une sur douze utilise l’IA dans sa création de valeur. Neuf sur dix de ces start-up sont sur des applications industrielles (des marchés « verticaux »), seulement une sur dix sur des marché horizontaux comme des plateformes.
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Isabelle Bellin
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