Voiture autonome : et l’homme dans tout ça ?
⏱ 5 minPour que les voitures autonomes soient acceptées, il faudra adapter les machines aux comportements des humains et non pas les humains aux modes de fonctionnement des machines.
Sur la route vers la voiture autonome, les verrous technologiques seront nombreux. Mais le principal obstacle risque finalement d’être tout autre : l’être humain. Difficile en effet de lui trouver une place derrière un volant et des pédales qu’il utilisera de moins en moins souvent, la machine gagnant de plus en plus en autonomie. « C’est un phénomène bien connu en matière d’automatisation : dès lors que le conducteur ne s’engage plus dans certaines tâches, il a tendance à perdre sa vigilance et à ne plus rechercher dans la scène routière toutes les informations nécessaires pour conduire », note Hélène Tattegrain, de l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar).
Reprendre la main
Et c’est bien là le problème. Car avant d’arriver à l’autonomie complète, on comptera toujours sur le conducteur pour reprendre la main dans certaines situations. Ainsi, dans le niveau 2 d’automatisation (lire l’encadré à la fin de l’article « Voiture autonome : un déluge de données à interpréter), le conducteur pourra céder le contrôle complet du véhicule mais il devra rester en permanence vigilant à son environnement pour réagir en cas de problème. Et dans le niveau 3, il pourra s’adonner à d’autres occupations mais tout en étant capable de reprendre rapidement – au bout de 4 à 10 secondes selon les discussions en cours – le contrôle de la voiture si celle-ci lui demande.
Pour s’en assurer, les constructeurs ont imaginé une solution : le surveiller grâce à des capteurs embarqués – on parle de monitoring. Certains systèmes sont déjà opérationnels : dans les voitures de luxe, une caméra détecte les clignements des yeux du conducteur et déclenche une alarme en cas d’endormissement. Et à terme, la voiture saura si la posture du conducteur est correcte grâce à des caméras braquées sur lui et des capteurs dans le volant. Avec ce genre d’outils, on devrait ainsi éviter les comportements comme ceux de ces propriétaires de Tesla qui se filmaient à l’arrière de leur véhicule alors que la voiture n’est que de niveau 2 !
Mais il faudra aller plus loin encore. « L’analyse de la posture ne suffira pas, il faudra aussi s’assurer que le conducteur est bien conscient de la situation. Et pour cela, la clé sera d’étudier sa stratégie visuelle grâce à des oculomètres. Par exemple, s’il regarde trop fixement devant lui, cela pourrait vouloir dire qu’il est absorbé dans ses pensées et qu’il risque d’avoir perdu toute vigilance. En revanche, s’il prend la peine de vérifier s’il y a un véhicule devant, derrière, ou un autre en train de doubler, cela peut signifier qu’il est attentif à la scène routière », explique Hélène Tattegrain. Et pour obtenir un tableau plus précis encore de l’état mental du conducteur, on enregistrera également son rythme cardiaque.
Surveiller le conducteur
Aujourd’hui, ce genre de monitoring reste largement expérimental. Dans des simulateurs, les participants sont exposés à des situations de conduite automatisée, sur autoroute et sur périphérique, et doivent réagir à une requête de reprise en main, planifiée ou non. L’objectif consiste ensuite à évaluer l’attention du conducteur et sa capacité de réaction en analysant les données à disposition (posture, stratégie visuelle et rythme cardiaque) et les actions de conduite. Et à ce jeu-là, les algorithmes d’apprentissage automatique n’ont pas leur pareil. De la même manière qu’ils sont indispensables à la perception de l’environnement de la voiture, ces algos sont devenus essentiels aussi pour la surveillance du conducteur.
L’étape suivante sera de tester le monitoring dans des conditions réelles cette fois, avec les problèmes de fiabilité des mesures qui vont avec. Les oculomètres, par exemple, sont des capteurs très sensibles aux changements brusques de lumière. Et puis il faudra également faire la démonstration du monitoring en milieu urbain. « La difficulté en ville c’est la richesse de la scène. Le conducteur suit du regard à la fois des objets importants pour la conduite (panneaux, piétons…) mais aussi des »distracteurs », comme les affiches ou les magasins. Il est alors compliqué de faire la part des choses dans l’analyse des données », avertit Hélène Tattegrain.
Face à de telles difficultés, certains estiment qu’il faudrait purement et simplement abandonner les niveaux d’automatisation intermédiaires – les niveaux 2 et 3 – et passer directement à un niveau d’automatisation élevée – le niveau 4, juste avant l’automatisation complète. Certes, les constructeurs travaillent déjà à des stratégies d’arrêt automatique de la voiture, dès le niveau 2, au cas où le conducteur ne pourrait pas reprendre la main. Mais pour les opposants à l’automatisation partielle, cela ne nous mettrait pas pour autant à l’abri de mauvaises surprises et d’un rejet des utilisateurs, pas du tout enclins à se laisser conduire tout en devant rester disponibles.
Reproduire une conduite humaine
L’acceptation de la voiture autonome par les humains se jouera également sur un autre aspect : dans certaines situations, celle-ci devra adopter une conduite proche de celle de monsieur et madame Tout-le-monde. De fait, une conduite fondée uniquement sur des règles strictes conduirait la voiture à effectuer des trajectoires trop abruptes ou des freinages trop secs. De quoi rendre l’expérience totalement inconfortable. Alors, pour rendre les manœuvres plus souples, les chercheurs tentent d’introduire dans les algorithmes de contrôle de la voiture une composante humaine. Par des méthodes de deep learning notamment, on apprend ainsi à la voiture, sur des données de conduite d’un conducteur humain, à tourner le volant ou à appuyer sur le frein ou l’accélérateur comme celui-ci l’aurait fait dans une telle situation.
L’imitation de la conduite humaine ne servira pas qu’à notre confort, elle permettra aussi d’éviter des accidents. Les essais de voitures autonomes effectués sur route ouverte ont révélé en effet un nombre anormalement élevé de collisions par l’arrière. La raison ? Les conducteurs qui suivent des voitures sans pilote n’ont pas anticipé leur comportement probablement trop lent notamment les démarrages à un feu ou les virages à une intersection. Pour éviter à l’avenir ce genre d’accident entre véhicules traditionnels et véhicules autonomes, mais aussi entre piétons et véhicules autonomes, il faudra rendre ces derniers plus prévisibles par les autres usagers de la route et donc certainement plus humains.
Prédire les intentions
Pour faire mieux encore en matière de sécurité, les voitures autonomes ne devront pas se contenter de détecter les autres véhicules, les piétons et de prévoir leurs mouvement, elles devront aussi être capables de prédire leurs intentions. Ce piéton va-t-il s’engager sur la route ? Ce conducteur me fait-il signe de passer ? « Une prévision trop simple indiquerait qu’un piéton à l’arrêt va juste continuer à rester sur place. Il faudra donc concevoir des méthodes d’apprentissage automatique utilisant d’autres informations que la seule trajectoire. Posture, orientation, direction du regard, gestes, on utilisera tout cela pour anticiper les actions des piétons et des conducteurs », note Fabien Moutarde, du centre de robotique de MINES ParisTech.
L’apprentissage des comportements humains par la voiture autonome ne s’arrête pas là. Au-delà du Code de la route, celle-ci devra fonder ses décisions sur d’autres règles plus implicites liées à des habitudes de conduite particulières. En Suisse par exemple, les automobilistes ont l’habitude de s’arrêter deux mètres avant un passage protégé, alors qu’en France il n’est pas rare de voir des voitures s’arrêter au dernier moment. Autre exemple : aux Etats-Unis, lorsqu’un bus scolaire stoppe à un arrêt, les véhicules suivants s’arrêtent immédiatement, au cas où des enfants traverseraient. Ce n’est pas le cas ailleurs… « On sera obligé de socialiser les voitures, de leur apprendre à adapter leur comportement en fonction du pays où elles seront. Pour cela, il faudra disposer d’énormément de données car les comportements sociaux associés à un lieu dépendent d’une multiplicité de critères », conclut Arnaud de La Fortelle, directeur du centre de robotique de MINES ParisTech. A cette condition seulement, la cohabitation entre les robots et les hommes se fera sans heurts.
Julien Bourdet